Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier - Partie 5

1986 : "Autour de Minuit"


PAR LE JAZZ, qui est une passion depuis l'enfance, Tavernier se donne une autre raison d'explorer l'Amérique, la première étant bien sûr le cinéma... Cette nouvelle aventure que tente Tavernier, aller explorer les coulisses des jazzmen, se fait un peu par accident... Il dînait à Paris avec Martin Scorsese et le producteur de celui-ci, Irwin Winkler. Lors de la soirée, Tavernier et Scorsese se fabulent sur les films qu'ils rêveraient chacun de faire en toute liberté. Tavernier expose alors son rêve, faire un film sur les musiciens de jazz américains noirs vivant à Paris, dans les années cinquante... Trois jours plus tard, le producteur Winkler rappelle Tavernier pour lui dire que son projet l'intéresse et lui offre un contrat...

Dès le départ, les Américains bloquent sur le script qu'ils jugent... pas assez commercial. Mais Winkler persévère et les financiers acceptent finalement, à condition de ne pas dépasser un budget de 3 millions de dollars (ce qui pour eux est un budget ridicule) et qu'il mette une partie de son salaire en garantie de dépassement. Tavernier trouve à cette époque un soutien amical d'un autre grand amateur de jazz, un dénommé Clint Eastwood. Ce dernier avouera plus tard à Tavernier avoir été très jaloux de ce projet...



Autour de Minuit

"Autour de Minuit" est ainsi l'histoire d'un jazzman noir américain de passage à Paris à la fin des années cinquante, mais c'est aussi l'aventure de deux hommes liés par un amour démesuré de la musique. François Cluzet y incarne l'admirateur dévoué qui n'a de cesse de s'occuper d'un vieux jazzman célèbre, devenu maintenant une épave alcoolique. On pourrait ici faire le lien entre Tavernier et John Ford, Tavernier a en effet suivit Ford pendant plusieurs jours, s'occupant du vieux réalisateur devenu lui aussi alcoolique. L'histoire est donc inspirée de cette relation avec, comme arrière plan, le décor nostalgique d'un Paris nocturne.

C'est l'occasion pour Tavernier d'explorer éventuellement les chemins sinueux de la démesure de la passion, que ce soit pour le jazz ou le cinéma. Cluzet ne vit que pour le jazz, c'est son unique rédemption. "Autour de Minuit" peut paraître ennuyeux au premier visionage (quelques longueurs, mais c'est un peu le but du film, de "prendre son temps"), mais il en vaut la peine. Il est d'abord très bien mis en scène et servi par des comédiens au meilleur de leur forme. C'est ensuite un film totalement personnel, faisant directement allusions aux appréhensions démesurées de Tavernier dans sa vie. Notons la séquence où Martin Scorsese lui-même vient accueillir les protagonistes à New-York : un clin d'oeil justifié. Le film gagne l'Oscar ET le César de la musique en 1987.

1987 : "La Passion Béatrice"




La Passion Béatrice

C'est grâce à Richard Pezet, qui avait distribué "Un Dimanche à la Campagne", que le projet de "La Passion Béatrice" parvient à se monter. Pezet invite Tavernier à faire partie de la famille AMLF, et Tavernier lui donne alors le scénario de "La Passion...", écrit par sa femme Colo. Pezet adore le script et décide donc de le financer...

Colo Tavernier veut situer l'action du film à l'époque de la Renaissance. Mais Tavernier lui demande de changer de siècle, lui conseillant d'adapter l'histoire au Moyen Âge, époque qu'il rêve de filmer depuis longtemps. Cette histoire de transgressions des tabous semble à Tavernier plus scandaleuse au Moyen Âge qu'à la Renaissance, où régnait une certaine décadence. Le scénario de Colo Tavernier est un texte brut, sans psychologie (hum) ; une succession d'émotions simples, d'affrontements. Un véritable film sur la rédemption.

Le décor reconstitué du Moyen Âge est véritablement impressionnant. Bien sur le film n'est pas exempt de qualités, mais il reste pourtant une relative déception dans l'oeuvre de Tavernier. Peut-être peut on en attribuer la faute au thème du film, terrain extrêmement dangereux, qui à mon sens n'a peut-être été totalement réussi qu'une seule fois ; dans le "Bad Lieutenant" d' Abel Ferrara. En fait, on peut l'assimiler à film qui détiendrait toutes les qualités voulues mais qui dans son agencement, dans son tout, ne nous accroche pas. Pourtant, il est servi par des acteurs formidables, une façon assez nouvelle de filmer les objets, un éclairage hors du commun qui ne laisse place qu'aux émotions... Hélas, cela ne fonctionne pas vraiment, peut-être parce qu'on ne reconnaît pas tout à fait Tavernier, même si l'on retrouve encore une fois dans ce film l'appréhension du père et une observation minutieuse des personnages. S'est il mis dans l'idée d'aller jusqu'au bout des émotions "existentielles" des personnages ? L'intention n'est pas véritablement servie par l'ensemble. Pas assez, en tout cas, pour réellement exciter le spectateur.

1988 : "Lyon, le regard intérieur"


Un autre documentaire introuvable, tourné pour la télévision. Jje ne vois d'autre solution que de laisser honteusement la parole au biographe de Tavernier, Jean-Luc Douin :

Cette chronique intimiste, remake documentaire de "L'Horloger de Saint-Paul", illustre de façon poignante certaines des obsessions de Bertrand Tavernier : l'harmonie entre père et fils, l'incapacité qu'ont les gens qui se sentent proches les uns des autres de se parler, l'impérieuse nécessité pour parents et enfants de renouer le contact après avoir trop longtemps cheminé à distance. La télévision lui offre ainsi l'opportunité d'effectuer un "lent travelling arrière" sur son enfance. (...)

1989 : "La Vie et Rien d'Autre"




La Vie et Rien d'Autre

Dans "La Vie et Rien d'Autre", c'est la première fois que Tavernier aborde une histoire d'amour aussi directement. Le point de départ du scénario se base d'abord sur le nombre de disparus de laGuerre 14-18, prêt de 350 000... Tavernier imagine alors l'histoire d'une femme recherchant son mari disparu, et en contrepoint les aventures d'un soldat inconnu. Le scénario est co-écrit avec Jean Cosmos qui, au cours de ses recherches, trouve un personnage de militaire chargé de relever et de comptabiliser les cadavres. Ce personnage devient bien sûr le personnage principal, incarné par Philippe Noiret.

La plupart des télévisions refusent de financer le film, craignant qu'il ne soit trop morbide. Beaucoup de gens y voient un film de guerre alors que pour Tavernier :

Pour moi c'est un film de paix. Un film sur l'espoir, la reconstruction, la résurrection des morts vivants. Je voulais que l'élan lyrique sauve le film du désespoir. Et c'est aussi un film d'amour : deux femmes y cherchent leur mari et fiancé. (...)

Tavernier veut donner à Noiret un rôle de militaire qui mette en évidence tout ce qu'il a de libre et d'anarchiste en lui. Le cas de Sabine Azéma est plus complexe. Son rôle doit être interprété par Catherine Deneuve mais Tavernier trouve en elle un côté trop prévisible. Il choisit alors Azéma, et décide de casser son image de jeune fille. Il part d'une phrase de Gabin qui disait qu'au cinéma il faut savoir économiser sa tronche. Il choisit donc de ne la filmer qu'en plan large et de ne se rapprocher d'elle qu'au fur et à mesure du film... Ce qu'il fera avec l'ensemble des acteurs.

Le résultat, un film totalement réussi. Azéma et Noiret forment un couple en parfait accord, brillant d'une très belle complicité. L'ambiance d'après-guerre est très réussie, et nous la retrouverons encore plus parfaitement dépeinte dans "Capitaine Conan". Comment ne pas associer Tavernier au personnage qu'incarne Philippe Noiret ? Toujours en quête d'une vérité, chercher ce que le pouvoir tente de cacher, compter les morts pour rétablir la justice et le véritable bilan de la Guerre et de ses absurdités. Tout cela sur fond d'histoire d'amour parfaitement ficelée, la cause est noble.

Simon Galiero

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