Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier - Partie 4

1981 : "Coup de torchon"




Coup de torchon

AVEC "Coup de torchon", Tavernier veut casser une image. Il veut montrer son goût pour le grinçant, l'agressif, le torturé. Il désire mettre au premier plan son côté noir. Pour cela, il s'inspire du livre de Jim Thompson, "1275 âmes", où les normes d'approche psychologique ne seront pas vraiment respectées, tout en ayant l'air de l'être, laissant le spectateur/lecteur dans une position ambivalente. Une histoire où l'on croise des personnages terribles, suscitant rire et effroi. Philippe Noiret, touchant, s'applique à se cuirasser parce qu'il a été blessé autrefois, ce faisant il se détruit complètement une deuxième fois. Un ton très désabusé dans cette foire de personnages qui essaient tous de se manipuler les uns les autres. Parfois, le film prend une forme assez hilarante, notamment dans les dialogues savoureux entre Noiret et Jean-Pierre Marielle.

Tavernier décide de transposer l'action du livre en Afrique, ce qui lui permet de retrouver les équivalences sociales et politiques du livre : le riche colon, les fonctionnaires, les Noirs, le racisme. L'Afrique lui apporte ce sentiment de bout du monde, de désolation, ce coin "à peu près aussi proche du trou de balle de la création qu'on peut se le permettre sans se faire mordre le doigt"...

Tavernier imagine dans son film une éclipse (de soleil) car son personnage est un écorché, quelqu'un qui n'en peut plus d'être témoin de la souffrance humaine. Cette éclipse le montre tentant vainement d'allumer un feu pour réchauffer des enfants et apporter de la lumière : constat d'impuissance et teinte métaphysique. Tavernier se sert d'ailleurs formidablement de la nature quand, par exemple, il utilise une tempête pour disperser la population mais aider certains personnages à se rapprocher. "Coup de torchon" c'est donc aussi une volonté d'imaginer un autre espace, une autre forme de confrontation. Faire en sorte que dans ces lieux désertiques les personnages se mettent à nu, affichent au grand jour leur égoïsme et leur manque de compassion. Il s'agit d'un film cynique, et selon beaucoup c'est le meilleur de Tavernier. Je n'en sais rien, mais c'est un film qui sort du moule, un film qui nous apporte quelque chose de nouveau, de spécial, et qui démontre bien que Tavernier est un être plus complexe qu'on peut le croire. On comprend pourquoi il n'aime pas les étiquettes...

1982-83 : Deux documentaires ; "Philippe Soupault" et "Mississippi Blues"


Je passe rapidement le documentaire "Philippe Soupault", sur lequel je n'ai que très peu d'informations et que je n'ai, bien sûr, pas vu. Très difficile à trouver, (impossible ?), ce documentaire réalisé pour la télévision est peut-être le seul film passé inaperçu dans la filmographie de Tavernier. Disons que Soupault était un poète et écrivain français qui prit une part très importante au mouvement Dada à Paris et qui devint un surréaliste par la suite...



Mississippi Blues

En revanche, pour ce qui est de "Mississippi Blues" il est difficile de ne pas s'y attarder. Au travers de ce film, Tavernier montre son envie de cotoyer les personnages de Jim Thompson pour de vrai, dans leur pays, de les entendre parler. Ainsi, il part aussi à la recherche des racines de "Coup de torchon" : le Sud n'est pas seulement la patrie de Jim Thompson, mais c'est aussi celle de William Faulkner... Au départ l'objectif de Tavernier est de faire un film sur Faulkner et sur son enfance. Mais avec l'apport de Robert Parrish, le film prend une autre tangente qui, petit à petit, oscille entre plusieurs thèmes : la religion, le blues, l'évolution du Sud, l'accession des Noirs aux campagnes politiques. Parrish s'attarde plus aux rencontres, aux personnages, aux dialogues alors que Tavernier s'occupe des parties musicales (chorales d'Oxford) et les séquences de blues.

La collaboration Tavernier / Parrish remonte d'abord à l'époque d'"À la française" (1962) où ils se sont connus. Tavernier aime bien les films de Parrish, dont "Cry Danger" et "L'Aventurier du Rio Grande" avec Robert Mitchum, il regrette qu'Hollywood ne lui permette plus de travailler et il éprouve ainsi un plaisir à le refaire tourner.

Au final, un documentaire particulier, teinté par l'amitié entre cet Américain et ce Français sur fond de Mississippi. Ces rencontres avec ces Noirs du Sud sont attachantes et marquent aussi la fin d'une époque. A un détour du film, plusieurs gens du village viennent se grouper autour de Tavernier et Parrish pour leur jouer une partition de blues. Touchant. Au bout du compte, on assiste à une balade apaisante et humaine, un pèlerinage nostalgique qui nous est offert avec bonne humeur et sincérité...

1984 : "Un Dimanche à la Campagne"




Un Dimanche à la Campagne

Dans "Un Dimanche à la Campagne", Tavernier utilise en premier lieu ses souvenirs d'enfance. Il insère dans les décors sa notion de la famille. Pour trouver un compromis au niveau pictural entre son film et ses souvenirs, il s'efforce d'abord d'éviter les références à l'impressionnisme. Il tente aussi de filmer par l'oeil d'un enfant, s'appliquant à composer une atmosphère de souvir par la composition de plusieurs zones d'ombre et de teinte de couleurs particulière. Une ambiance formidablement bien décrite par Jean-Luc Douin :

Ce dimanche-là, c'est curieux, je m'en souviens tout d'un coup. (...) J'ai l'impression trompeuse de ne retenir de ces bouffées d'enfance que ce qui revient au plaisir et au regret. Comme une suprême récompense, tardive, une nostalgique déchirure due aux remords d'avoir gâché des occasions de mordre plus violemment à la vie. (...) Ce dimanche-là, c'est le miracle de ce film, Bertrand Tavernier s'en souvient lui aussi. Dans un autre jardin, une autre famille, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. (...)

L'idée du film est tirée d'un livre de Pierre Bost, mais, avec l'apport de Louis Ducreux, le texte change rapidement. C'est après l'avoir apprécié au théâtre dans la pièce "Un monsieur qui attend" de Emlyn Williams (pièce que Losey a adaptée pour "Time Without Pity") que Tavernier engagne Louis Ducreux. Les deux hommes se rencontrent en fait tous les jeudi matins à la Société des auteurs... Tavernier remarque alors le silence et l'apathie de Ducreux. Il se demande s'il est encore capable de jouer, et décide de l'inviter à déjeuner où il l'interroge à ce propos. Louis Ducreux répond :

Chut ! Je ne dit pas un mot parce que j'ai peur d'être nommé dans une commission ! (...)

Le vieux loup était donc au courant de tout, mais ne se manifestait pas, faisant semblant d'etre sénile pour ne pas avoir à faire un rapport... C'est à ce moment que Tavernier décide de lui offrir le rôle d'"Un Dimanche à la campagne". Ducreux est mort quelques années plus tard, mais il enverra auparavant une copie du "Père Goriot" à Tavernier en lui disant que son rêve avant de mourir serait d'interpréter ce rôle. Il ne sera jamais exaucé... "Un Dimanche à la campagne" gagne le prix de la mise en scène du festival de Cannes en 1984.

Simon Galiero

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