Un dimanche à la campagne

Un dimanche à la campagne

de Bertrand Tavernier
1984 - 1h34 - France
avec : Louis Ducreux, Michel Aumont, Sabine Azéma, Geneviève Mnich, Monique Chaumette

Vincent Fournols, 23 mai 1998 :

D'UNE CERTAINE MANIÈRE, ce film de Tavernier est peut-être le moins ambitieux de ceux qu'il avait tourné à cette date. Après les films du début, qualifiables de militants ("L'horloger de Saint-Paul" en 1973, "Que la fête commence" en 1974, "le juge et l'assassin" en 1975, "des enfants gâtés" en 1977), sa carrière fait une pause puis il revient en 1980 avec "Une semaine de vacances" racontant la dépression d'une prof. Suivent dans la foulée deux exercices originaux : un d'anticipation, "la mort en direct" (1980) et surtout "coup de torchon" (1981), comédie noire et grinçante dans l'Afrique équatoriale des années 30, peut-être son meilleur film.

Nouvelle pause et puis est présenté à Cannes 1984 cette adaptation d'un roman de Pierre Bost : "M. Ladmiral va bientôt mourir". Vers 1910, un dimanche de début d'automne non loin de Paris, un vieux peintre, M. Ladmiral (Louis Ducreux), reçoit comme régulièrement la famille de son fils Gonzague (Michel Aumont). Dans l'après-midi surgit sa fille Irène (Sabine Azéma).

Le film traite d'abord du temps qui passe, et de ceux qui n'ont pas su, pu, voulu, osé embarquer dans le train de la réussite, de la reconnaissance d'une époque, que leur lucidité et leur sensibilité taraudent, qui sont quelques peu malmenés par leurs regrets, et à qui il reste d'aimer simplement, fidèlement, quotidiennement.

M. Ladmiral a croisé Monet, Caillebotte, Van Gogh, et les Impressionnistes ne sont pas loin dans les compositions des quelques séquence extérieures à la maison familiale (le village, la guinguette). Mais pour illustrer son époque, le film utilise essentiellement l'académisme chatoyant des intérieurs sombres et des extérieurs de début d'automne. Le ton, le rythme, la musique (musique de chambre de Fauré) participent à l'esthétique non seulement confortable et plaisante mais qui porte et véhicule cette période, ses goûts et ses idéologies : ceux de cette Belle-Epoque, zone fracture de l'histoire urbaine, sociale, industrielle, de l'art, et de l'Histoire tout court.

Le film propose également une sereine réflexion, même si non dénuée de douleurs, sur le temps et les moyens de l'arrêter (la peinture, la photographie qui "est trop facile" et en fin de compte, le cinéma), et sur la communication entre des personnes si proches et que leurs rêves, vécus ou déçus, empêtrent. Le film sert également, et comme rarement, les souvenirs d'enfance : les siestes d'été derrière les persiennes fermées, les verres d'eau fraîche, l'odeur du bois, des feuilles et de l'herbe, les bruits de la campagne.

On a plusieurs fois reproché à Tavernier un certain académisme, et c'est peut-être "un dimanche à la campagne" qui illustre le mieux ce propos, et semble indiquer que non seulement il l'assume mais que c'est pour lui un objet de recherche et de réflexion. Car cet académisme s'épanouit grâce à une finesse et une sensibilité remarquables, et est servi par une interprétation éblouissante et une mise en scène justement récompensée à Cannes.

Il est à noter que Pierre Bost (1901-1975), auteur du roman adapté, a signé avec Jean Aurenche, co-scénariste du film, les scénarios des meilleurs films d'Autant-Lara comme "la symphonie pastorale" (1946), "Le diable au corps" (1947), "La traversée de Paris" (1956), ou René Clément dans "Jeux interdits" (1952), "Gervaise" (1955 d'après Zola). Grand admirateur de leur cinéma, Tavernier a fait appel à eux pour les scénarios de tous ses premiers films.

Qualifiable de très classique, de très français, "un dimanche à la campagne" semble ne pas laisser prise au temps, peut-être précisément grâce à son classicisme et à son sujet sur le temps qui passe. C'est un film juste.

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