Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier - Partie 3

Création de Little Bear et tournage de "Des Enfants gâtés"


APRÈS "Le Juge et l'Assassin", Tavernier décide de créer sa propre société de production : Little Bear. Il constate en effet que sur ses trois premiers films, il a fait un véritable travail de co-producteur. Cette nouvelle société d'auteur lui assure un certain nombre de libertés. Elle lui donne accès à tous les comptes du film, à tout ce qui touche aux ventes à l'étranger, ainsi qu'aux droits sur le négatif. Aujourd'hui, Little Bear existe toujours.

Deux films historiques, et Tavernier ressent maintenant le besoin de faire un film moderne. Sur "Des Enfants gâtés" son objectif est de décrire des problèmes simples, dont on ne parle jamais, et qui donnent une image précise de la France du moment. Il part d'un fait divers : des locataires volés par un propriétaire décident de créer un comité de défense. Il se pose alors une question : qu'est-ce qu'être locataire dans les immeubles à loyer libre, en 1977 ? Il choisit à dessein un immeuble habité par des bourgeois, afin de ne pas parasiter son discours par des problèmes ouvriers qui lui sont plus évidents. Il veut montrer avec ironie et humour comment une série de petits faits peut nous en apprendre beaucoup sur le fonctionnement de notre société. Il choisit comme héros un personnage de metteur en scène qui peut tout à la fois observer de l'extérieur, tout en étant amené à affronter des problèmes concrets, ou être confronté à un personnage de jeune fille qui l'oblige à se remettre en question.

La production de "Des Enfants gâtés" n'est pas exempt de problèmes. L'AMLF annule le contrat, pensant que le film ne marchera pas. Gaumont accepte de distribuer et de coproduire le film en prenant 50% de toutes les parts, ce qui force Tavernier à doubler les ventes à l'étranger pour faire un bénéfice. Au final, avec un budget de 320 millions de francs, il tourne le film en 26 jours.

1978-79 : "La Mort en Direct"



La Mort en direct : Affiche U.S.

Tavernier parvient à monter le projet de "La Mort en Direct" grâce à la société Planfilm ainsi qu'à Henri Lassa et Adolphe Viezzi qui lisent le projet et décident de miser dessus. Il s'engagent ainsi dans une affaire qui prendra deux ans à voir le jour, alors que le projet craque de partout... Pourtant, la réputation de Bertrand Tavernier n'est plus à faire, mais les producteurs français font alors moins confiance à Romy Schneider dont le dernier film, "Portrait de groupe avec dame", a été un échec. De plus, Tavernier insiste pour tourner dans la ville de Glasgow, ce qui ne plaît guère aux producteurs anglais, qui prétendent que l'équipe va se faire massacrer et voler son matériel. Tavernier finit tout de même par les convaincre en insistant sur le fait que c'est un choix esthétique et que pour un scénario de science-fiction aucune ville ne l'avait frappé autant que Glasgow : ville richissime au XIXe siècle et aujourd'hui complètement dépeuplée. Revenons un peu à la production du film, qui nous en apprend un peu plus sur la manière de fonctionner des producteurs américains. "L'Horloger de Saint-Paul" et "Le Juge et l'Assassin" ayant bénéficié de critiques élogieuses aux États-Unis, Tavernier pense avoir une chance et tente de s'adresser à des compagnies de production américaines. Il est reçu par le président de la Fox. Celui-ci, six mois plus tard, se retrouve hélas à la Columbia, et le président de Columbia chez Orion. Mais Tavernier compte parmi ses amis le réalisateur Sydney Pollack qui parvient à enthousiasmer le PDG de la Warner. Cela semble donc fonctionner avec la Warner jusqu'à ce que ce même PDG change d'avis et interpelle Tavernier :

Hélas, Bertrand, il y a quelqu'un de mes subordonnés qui a lu votre scénario, qui n'y a rien compris et j'ai décidé d'arrêter de le lire de mon côté pour ne pas avoir de conflit avec lui !

Autre anecdote : on signale à Tavernier que le président d'Orion veut faire un film avec lui. Mais dès qu'il reçoit le scénario, il envoie une lettre à l'agent de Tavernier, disant :

Il semble que ce soit un sujet sur la mort dont les conclusions ne nous apparaissent pas très nettes.




Tournage de la Mort en direct

Il les voulait ; il les a eus !

Finalement, à la Fox, le rapport de lecture est favorable, mais ils restent impératifs sur le choix des acteurs : Jane Fonda et Robert De Niro. Tavernier refuse, il tient à Romy Schneider et Harvey Keitel. À propos des producteurs américains, Bertrand Tavernier en dit :

Pour eux, nous sommes des zoulous. Ils nous regardent dédaigneusement. Ils veulent bien, avec commisération, nous passer la main dans les cheveux en nous disant que nous sommes sympas, mais c'est tout. (...)

Tavernier se sent immédiatement attiré par l'histoire, tirée d'un livre de David Compton, de cet homme-caméra qui se vend au système afin de mieux pouvoir épier les sentiments, d'obtenir une vérité absolue sur les émotions. Tavernier voit là l'occasion de faire un film sur son métier de metteur en scène, sur le voyeurisme, sur certaines peurs, certaines angoisses, et sur la manière dont on exploite ces peurs et ces angoisses. David Compton, l'auteur du livre, refuse au départ que l'on en fasse une adaptation. Tavernier lui envoie tout de même le scénario et Compton lui répond alors par lettre que le scénario est meilleur que le livre...

"La Mort en Direct" est un film que l'on a tendance à oublier dans la filmographie de Tavernier, une oeuvre étrange, une exorcisation de cette crainte de la mort chez Tavernier. Quand on évoque sa filmo, on se dit rarement que le réalisateur de "Un dimanche à la campagne" a aussi fait un film de science-fiction ! On ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir fait preuvre de diversification et d'éclectisme...

1980 : "Une Semaine de vacances"




Une Semaine de vacances

Le projet d'"Une semaine de vacances" remonte à l'époque où Tavernier lit un livre de Claude Duneton : "Je suis une truie qui doute". Il veut adapter le livre avec Duneton en transposant ses expériences d'enseignant sur un personnage de femme. Mais Duneton ne tient pas à revivre ce qu'il a écrit, il propose alors à Tavernier de travailler avec une de ses amies, Marie-Francoise Hans. Elle et Tavernier vont noter tout ce que Duneton leur raconte, ils accumulent les témoignages, rencontrent des profs, mais tout cela laisse Tavernier insatisfait... Il a l'impression de faire face à un patchwork de différentes sensibilités, d'accumuler des connaissances sans traiter vraiment un sujet. À vouloir engranger dans le scénario toutes ces expériences, il finit par perdre de vue l'essentiel, l'intériorité des personnages. Il décide de se séparer de Duneton et d'évacuer un certain nombre de thèmes. En revenant du tournage de "La Mort en Direct", il réécrit le scénario avec sa femme, Colo. Ensemble ils parviennent petit à petit à donner au scénario un ton plus émotionnel, plus lyrique, plus musical. Ils se retrouvent ainsi confrontés à un sentiment que tous deux partagent  : la peur de ne pas comprendre leurs enfants, d'être à côté de la plaque.

L'expérience de "La Mort en Direct" convainc Tavernier d'utiliser le format Scope pour filmer "Une semaine de vacances". Il est frappé par l'ampleur et le lyrisme que ce format peut amener à un film intimiste. Il en dit :

Un format qui interdit les effets de montage et contraint la mise en scène à respecter le mouvement intérieur des personnages, à les situer dans l'espace.. (...)

Tavernier décrit aujourd'hui son film comme un film d'école buissonnière, une de ces chroniques intimistes dont l'existence est tellement menacée dans le cinéma français. À l'époque, Tavernier et Colo s'efforcent aussi de sortir l'image de l'enseignant de la vague démagogique "anti-enseignement" qui fait rage depuis mai 68. Ils veulent montrer que c'est un métier épuisant, héroïque, qui demande un engagement total. Au final un film intéressant, notamment grâce à la performance discrète mais enchanteresse de Nathalie Baye, ainsi qu'au cadre de l'action, exposé avec tendresse, la ville de Lyon qui tient tellement à coeur à Tavernier. Notons aussi qu'il fait réapparaître le personnage attachant de "L'Horloger de Saint-Paul" qu'il a lui-même envie de retrouver, et offre sa première participation cinématographique au chanteur Eddy Mitchell (qui jouera par la suite dans "Coup de torchon"), dont on retrouve les chansons dans la B.O.

Simon Galiero

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