Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier - Partie 2

1972 : Après deux courts métrages, mise sur pied de "L'Horloger de Saint-Paul"


APRÈS avoir réalisé deux petits sketchs dans "Les Baisers" et "La chance et l'amour", Tavernier commence à mettre sur pied son premier long métrage. Pour l'écriture du scénario il tient à la collaboration de Jean Aurenche et Pierre Bost, dont il trouve le travail d'un grand modernisme, et dont il apprécie le sens de la polémique, l'agressivité, l'engagement libertaire. Cette collaboration surprendra d'ailleurs la critique qui reprochera à Tavernier d'avoir travaillé sur une adaptation d'un roman de Simenon plutôt que d'écrire un scénario original... Tavernier s'en défend en affirmant que "L'Horloger de Saint-Paul" est un film profondément autobiographique où, entre autres, les rapports familiaux le touchent très fort (on pense à la relation père-fils qui reviendra souvent dans son oeuvre).



L'Horloger de Saint-Paul

Pour un premier film, "L'Horloger de Saint-Paul" fait preuve d'une belle retenue, et la démarche modeste du personnage principal (Philippe Noiret) "choque" beaucoup de spectateurs outrés par cette attitude du personnage dans un contexte de meurtre... Tavernier et Noiret reçoivent alors plusieurs coups de téléphone anonymes qui les injurient. Mais avec ce film Tavernier affirme sa colère contre un certain confort, contre la veulerie de certains Français, contre l'autosatisfaction. Il y affiche également une observation minutieuse des éléments sociaux, en élaborant une manière de situer les arrière-plans, les métiers des gens, leur vie de famille...

Pour la petite histoire, notons que le film n'aurait jamais pu se monter sans Philippe Noiret qui, après avoir lu 20 pages du script, fit entièrement confiance à Tavernier et l'aida à tenir tête lorsque les producteurs renoncèrent et que le projet sembla s'écrouler. La pré-production du film fut assez pénible et, après l'abandon d'un producteur, Tavernier se vit obligé, pendant un an, d'aller frapper aux portes, de contacter des gens avec qui il avait travaillé lorsqu'il était attaché de presse et qui soudainement ne répondirent plus... C'est une période où il se fit donc claquer la porte au nez et humilié, jusqu'à sa rencontre avec Raymond Danon, un producteur plus habile en affaires qu'en psychologie mais qui crut au sujet de "L'Horloger de Saint-Paul" et qui donna ainsi sa chance à Tavernier...

1974-75 : "Que la fête commence"






Que la Fete Commence

À l'époque, et on le verra avec "Que la fête commence", Tavernier affiche déjà le principe d'être éclectique en passant de Simenon à Dumas. Il fait alors un film très différent du précédent. Il refuse de se cantonner à un moule précis et abandonne ainsi la sobriété de "L'Horloger de Saint-Paul" pour plonger dans la démesure et l'excessif dans "Que la fête commence".

Il en avait déjà écrit le scénario en 1965, d'après "La Fille du Régent" d'Alexandre Dumas, et la productrice Michèle de Broca accepte de financer un nouveau travail sur ce scénario avec Jean Aurenche. Dès le départ Tavernier et Aurenche butent sur l'intrigue... Ils ont beau consulter des dizaines de livres sur la Régence et écrire bon nombre de scènes, le héros et l'intrigue demeurent toujours inintéressants... Jusqu'au jour où Aurenche propose de réunir toutes les scènes qui leur plaisent pour en tirer une sorte de chronique, sans trop se préoccuper de la ligne dramatique. Ils laissent ainsi tomber Dumas et décident de se faire plaisir. Ils sélectionnent un grand nombre de faits, s'intéressent à d'autres personnages du livre, consultent des chroniques du temps (Saint-Simon) et amassent peu à peu des anecdotes. Petit à petit la ligne dramatique commence à se dessiner d'elle même, tout en prenant l'allure d'une chronique quotidienne...

Puis c'est à nouveau la rencontre avec des problèmes de production. Cette fois-ci, ce sont les distributeurs qui rechignent, invoquant le fait que le film historique n'est pas à la mode et qu'ils sont choqués par certains aspects du scénario trop anticlérical et trop violent contre la noblesse. Certains producteurs abandonnent le projet trois semaines avant le début du tournage et il faut alors que Christian Ferry, qui ne croit pas au film mais qui agit par amitié pour Michèle De Broca, apporte un coup de main financier.

Au final Tavernier décide avec ce film de briser le côté antiquaire, le côté musée que l'on attribue généralement à l'Histoire. Il s'applique à enlever le vernis de l'Histoire officielle, quitte à choquer certains historiens. Il veut que le spectateur se sente proche des personnages, comme s'ils étaient modernes, et s'efforce d'adopter la formule de Jean Rochefort pendant le tournage : "Faire comme si la caméra avait été inventée en 1778..."

1976 : "Le Juge et l'Assassin"




Le Juge et l'Assassin : Affiche U.S.

Le scénario existait déjà, écrit par Aurenche et Bost : 80 pages, axée sur le flash-back d'un assassin qui était arrêté et dont on racontait l'itinéraire. Tavernier reprend le scénario en l'étoffant un peu et en s'inspirant en particulier des souvenirs du Juge qu'il retrouve à la Bibliothèque Nationale. Avec cette histoire, c'est pour lui l'occasion de poser un regard précis, aigu et moral sur les rapports qu'entretient une certaine justice avec le monde qui l'entoure. Derrière ces personnages qui s'épient, se trompent et s'influencent, on décèle tout un arrière-plan historique apportant une fièvre au film, une ambiance de pré-révolution. Notons aussi le thème de la folie de l'assassin, que Tavernier introduit comme baromètre de la société en partant du principe de Foucault selon lequel une société peut être jugée à la manière dont elle traite ses malades mentaux. "Le Juge et l'Assassin" est une mine d'informations sur les bases de la société au travers de la rencontre de Bouvier, l'assassin, avec toutes les représentations officielles de la répression de l'époque : l'Armée, l'Église, l'asile, la prison, l'hôpital.

La presse a de fortes réactions sur ce film. L'Aurore l'accuse de pousser au crime, d'encourager les assassins de vieilles dames. Le Méridional fait un appel à l'élimination de la bête féroce incarnée par Michel Galabru. Mais des reproches lui sont aussi faits au niveau artistique... Lors d'une émission radiophonique, Jean Aurenche lui-même qualifie la dernière séquence de "grosse signature à l'encre rouge". Il est vrai que cette séquence finale est un hymne à la révolution plutôt déplacé qui surprend le spectateur dans le contexte. Ce type de fin en "coup de gueule" est un peu une caractéristique de Tavernier, qui se retrouve notamment à la fin de "L'Horloger de Saint-Paul" et de "Que la fête commence". Mais c'est un film touchant, voire impressionnant, sans doute grâce aux images en Panavision large qui conviennent parfaitement à un certain lyrisme et à la performance très convaincante de Michel Galabru.

Simon Galiero

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