Bertrand Tavernier

Bertrand Tavernier - Partie 6

1990 : "Daddy Nostalgie"


ET UN FILM de plus co-signé par l'épouse de Tavernier, Colo. "Daddy Nostalgie" est extrêmement intimiste et personnel. Un film qui revendique chez le couple Tavernier toute l'amertume mais aussi l'affection que portent chacun d'eux à leurs pères respectifs. Un film incontournable, un thème que Tavernier se doit alors d'aborder franchement et une fois pour toute. On sait que son père René décède lors du montage, donc on peut réellement parler de circonstances. Un adieu peut-être aussi à des pères spirituels comme Michael Powell, mort aussi en 1990, ainsi qu'à l'acteur Louis Ducreux que l'on voit sourire furtivement à Jane Birkin dans une scène de métro.

Un film baigné de la douce lumière du Midi français, et qui sous une atmosphère très apaisante cache pourtant un gigantesque cri de douleur. La douleur du regret d'une relation sans doute jamais véritablement aboutie entre un père et son fils, la douleur de la perte de l'être cher, et finalement la douleur et la crainte de la mort.

Il s'agit d'un film indéniablement "tremblotant", au bord du sanglot. On sent que le réalisateur a alors quelque chose de pris dans la gorge. L'émotion dégagée semble en fait tellement forte qu'on ne peut y être indifférent. Et cette émotion est servie par une mise en scène à son image ; sobre et efficace.

1991 : "La Guerre sans Nom"









La Guerre sans Nom

Marcel Ophüls dit un jour :

Construisez un documentaire comme un film de fiction. Construisez-le autour de personnages. (...)

Les personnages de Bertrand Tavernier pour "La Guerre sans Nom" sont les appelés et les rappelés de la guerre d'Algérie. Il décide donc de partir de leurs histoires vécues pour en faire des fictions. Il refuse de s'inspirer des documents d'archive et des images d'Actualités d'époque. Il préfère capter au vif le témoignage de ces hommes, qui furent les principaux visages de cette guerre "sans nom"...

Pour trouver ces anciens combattants, il recherche quelles villes ont vu les plus grosses manifestations contre la guerre d'Algérie ; il explore Grenoble et Caen. Ses ascendances lyonnaises le poussent vers Grenoble, il s'y rend et y contacte les associations d'anciens combattants. Sur une quarantaine de personnes, il en choisit trente qui lui semblent les plus intéressantes, des gens qu'il sent porteurs de quelque chose de fort.

Tavernier (avec Patrick Rotman, co-réalisateur) rencontre tous les témoins avant de tourner pour se donner quelques repères, mais il s'efforce surtout de garder intact ce qu'ils ont à dire, pour le moment où ils seront devant la caméra... Car il est des récits qu'on ne répète pas deux fois.

Côté éthique, il veut adopter le respect de la personne, la non-manipulation, le refus du sensationnel, de l'hyper-dramatisation. Mais est-ce tâche facile avec certains témoignages aussi douloureux ? Le fait est que, la guerre d'Algérie, fut en France l'objet d'une grande hypocrisie, qui a augmenté le poids du silence. Les appelés qu'interroge Tavernier se sont retrouvés porteurs de souvenirs et d'une mémoire que ni les gens ni les institutions n'avaient envie d'écouter... Tavernier se donne donc comme mission de leur laisser la parole pour la première fois, respectant leurs émotions. De plus, il va se rendre en Algérie pour filmer des paysages afin de revivre cette impression de solitude que pouvaient alors vivre ces jeunes soldats.

Notons que certaines formes d'hostilité surgissent pendant la réalisation du film. Notamment de la part de l'armée régulière, comme un général de Grenoble qui refuse l'autorisation de tourner dans son messe, demandée par quatre officiers, et qui refuse même de s'entretenir au téléphone. Un témoin ayant une fonction plus ou moins officielle à la mairie de Grenoble se défile. Tavernier invite des hommes politiques à des projections mais aucun ne vient...

1992 : "L627"






L627

Après "La Guerre sans Nom", Tavernier poursuit un peu dans la veine documentaire avec "L627". Le L627 est un article du Code de la santé publique qui réprime les infractions liées à la drogue. Le film naît d'une rencontre avec un certain Michel Alexandre, un enquêteur de police, qui s'était spécialisé dans la lutte contre la drogue et avait intégré un groupe des stups en 1987. Tavernier est excité par ce qu'il raconte et lui demande de décrire la vie quotidienne des policiers de rue pour servir de base à un scénario. Michel Alexandre emmène ainsi Tavernier, la nuit, il lui montre les rues, les quartiers où il planquait, et lui fait découvrir le monde des dealers, des toxicomanes et des bureaux misérables où il travaillait à la Ire DPJ. Il raconte aussi à Tavernier qu'il filmait presque tout ce qu'il voyait avec une caméra vidéo. À partir de ce moment Tavernier tient son film...

Avec "L627", il se voit en mesure de filmer la notion de métier, ce qui l'a toujours passionné, et aussi de s'interroger sur les rapports entre fiction et documentaire, entre vérité et réalisme. Ce rapport entre fiction et documentaire est formidablement servi par le fait que le personnage principal filme ce qu'il voit en vidéo. Pour le tournage Tavernier se donne aussi quelques principes... D'abord tenter de donner l'impression dans le découpage que rien n'a été préparé ; garder les différentes colorations des éclairages publics ; éliminer au maximum les plans descriptifs et les cadres qui surdramatisent l'action, coller aux flics durant les filatures et les poursuites, voir ce qu'ils voient ; éliminer toutes les figures stylistiques propres aux films policiers, la caméra près des roues, le dérapage des véhicules près de l'objectif ; s'enfermer avec les personnages ; retrouver dans la mise en scène l'instabilité de leur vie, de leur travail...

Un film qui se veut donc réaliste sur la vie quotidienne des policiers français. Une dénonciation, empreinte d'une certaine colère, du manque de moyens pour combattre certains fléaux. On pourrait peut-être reprocher au film d'être tourné un peu comme un téléfilm, mais au grand écran cela ne se voit pas. Cependant il est vrai que l'utilisation de cette caméra mobile, qui ne nous laisse jamais deviner le plan suivant, donne un effet de cinéma-vérité. Et malgré une intrigue relativement mince, le film reste tout à fait accrocheur, un véritable film d'action. Une énergie rendue très spontanément par des acteurs qui le sont tout autant.

1994 : "La Fille de d'Artagnan"



La Fille de d'Artagnan

Riccardo Freda, réalisateur italien passionné, voire enflammé, fanatique du cinéma populaire allant du "cape et d'épée" au film d'épouvante, comptait dans les années 50/60 certains inconditionnels parmi la critique française. L'un d'eux était Bertrand Tavernier qui se vit confier en 1966 les dialogues, et certaines scènes, par Freda pour "Coplan ouvre le feu à Mexico". Plus tard, c'est Tavernier qui engage Freda comme conseiller technique pour "La Passion Béatrice"... Et de cette amitié émane aussi "La Fille de D'artagnan"...

Voulant donc permette à Freda de renouer avec la réalisation à l'âge de 83 ans, il lui offre, avec Pierre Rissient, de produire un dernier film. Freda accepte le défi et imagine les aventures de la fille d'un mousquetaire. Malheureusement le tournage se déroule extrêmement mal car Freda et Sophie Marceau ne s'entendent pas. Marceau menace de quitter le film et finit par exiger le départ de Freda. Un peu mal à l'aise, Tavernier se voit dans l'obligation de prendre en main le tournage et d'assumer seul la réalisation. Il s'efforce à partir de ce moment d'appliquer et de respecter les idées de Freda et lui rend même hommage en faisant traverser une fenêtre à Éloïse (Marceau) et exécuter une chute de plusieurs mètres au milieu des éclats de verre, clin d'oeil direct à "La Charge des Cosaques".

Une comédie donc, ou plutôt une parodie. Effet bizarre car Tavernier ne nous a pas habitué à ce genre de film tout en légèreté et en gags. Le film ne restera pas dans un quelconque palmarès, mais il parvient quand même très bien à rendre l'action avec un certain humour. Un film totalement distrayant et qui confirme qu'il est capable d'aborder tous les genres. Notons dans les personnages de mousquetaires encore peut-être un petit clin d'oeil à Freda : ces mousquetaires sont maintenant vieux et fatigués.

Simon Galiero

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