Terence Fisher

Terence Fisher - Partie 3

1956/57 : Le film fantastique est aux portes d'un nouveau printemps


Affiche française de "The Curse of Frankenstein"


Christopher Lee dans "Curse of Frankenstein"

Christopher Lee est...
... la créature

JIMMY SANGSTER (le scénariste) et Terence Fisher décident de relire le roman de Mary Shelley de manière à oublier les premières adaptations faites au premier àge d'or du fantastique par les studios Universal et James Whale. Tout d'abord l'action est ressitué dans l'Angleterre post-Victorienne, les bourgeois seront souvent (voire toujours) montrés comme étant décadent, le peuple a aussi une importance capitale dans les films de Fisher, on verra combien il est présent, souvent comme victime consentante (Fisher n'épargne pas grand monde).

Dans "Frankenstein s'est echappé !" ("The Curse of Frankenstein"), c'est, entre autres, la bonne de Frankenstein qui en fait les frais. Mais la plus grande modification s'opère sur le personnage principal du film, ce ne sera plus la créature (qui n'apparait qu'au bout d'une heure de film) mais bien le baron lui-même. Il est transformé en un jeune noble dont la générosité et la gentillesse ne sont qu'apparences, par le truchement d'un montage parfaitement maîtrisé, Fisher opposera souvent dans le film, l'attitude du Baron "à la ville" et en privé.

L'un des plans les plus réussi est certainement celui où Hazel Court déclare que son voeu le plus cher a toujours été d'épouser le baron Frankenstein, un plan de coupe le montre au même moment en train d'embrasser la bonne. Autre exemple, il propose d'offrir une place dans son caveau familial à un savant qui vient de mourrir, du coup, le baron est considéré par tous comme un bienfaiteur grâce à cette noble attitude. Vous l'aviez compris, il a, en fait, lui même assassiné le savant en question et lui offre son caveau pour pouvoir lui enlever son cerveau tranquillement.

Un personnage fort donc, qui aurait pu faire passer la créature complètement au second plan, heureusement, le charisme et le talent de Christopher Lee lui permettent de s'imposer au moment les plus propices. En particulier la scène où il est abattu dans les bois, aux couleurs de l'automne, Fisher en rajoute en créant un contraste étonant, la nature est naturelle (!) donc belle, la créature est une création contre-nature, donc monstrueuse. Ces deux aspects mis en concurrence avec beaucoup de talent par Fisher sont à l'origine de la scène la plus poêtique du film, encore une fois, en complète opposition avec l'attitude du baron.

En avril 1957, le montage était terminé, une copie du film est envoyée à des executifs de la Warner Bros, ceux-ci, impressionés et surs de leur coup, projetent le film à Jack Warner lui même. Emballé, il dégage un gros budget publicité. Une première est organisée à Londres, les critiques suivent en grande partie, certains sont mêmes très enthousiastes. Au mois d'Aout le film démarre sa tournée, et c'est un succès mondial. Il rapporte des millions de dollars (plus que "Le pont de la rivière Kwai") alors qu'il n'en avait couté qu'environ 100000 (pour l'anecdote, le salaire de Christopher Lee s'élève à environ 1000$, une misère, mais il est considéré encore comme un débutant).

Après Frankenstein, pourquoi pas Dracula ?





Affiche française de "Dracula"

Du coup, vu le succès du film, la Hammer n'a plus aucun problème pour obtenir les droits d'exploitation de Dracula, alors avec une certaine logique, à la fin de 1957, commence le tournage du "Cauchemar de Dracula", à mon sens le meilleur film de Terence Fisher (le titre anglais, donc l'original, est "Dracula", tout simplement, et le titre d'exploitation aux états-Unis "Horror of Dracula"). Le film est tout à fait remarquable, dans un soucis d'épurer le roman de nombreux aspects générateurs d'effets spéciaux, donc à la fois dans un but artistique mais aussi pour faire de substantielles économies (faudrait pas être trop naïf quand même), Fisher et Sangster enlèvent au comte Dracula la possibilité de se transormer en chauve-souris, en loup ou en nappe de brouillard, l'action est ressérée dans le seul pays d'Europe centrale, donc, pas de couteuse traversée en bateau. Mais, pour remedier au risque d'être trop violent dans le "nettoyage" du mythe, ils rajoutent un accessoire qui n'avait encore jamais fait son apparition au cinéma, les canines anormalement longues et pointues du vampire, qui deviendront le signe distinctif le plus utilisé.

L'autre travail a consisté à simplifier l'intrigue, la plupart des personnages seront volontairement oubliés (le Texan, Renfield, les Tziganes). Encore une fois, pour revenir vers le roman ils décident de construire le film à la manière dont Bram Stoker à écrit "Dracula", en utilisant le principe des point des vue (le roman est composé en grande partie d'echanges épistolaires, journaux intimes, etc.).


Christopher Lee dans "Dracula"

Christopher Lee est...
... Dracula


Peter Cushing dans "Dracula"
Peter Cushing est...
... Van Helsing


Le résultat est à la hauteur des ambitions des créateurs, sachant que beaucoup connaissaient le roman, ils prennent le spectateur par surprise, le film s'ouvre sur le journal de Harker, ce dernier est, d'entrée, promu chasseur de vampires, présenté comme le héros positif et efficace dès le début du film. Fisher et Sangster l'éliminent rapidement, l'effet est étonant et donne au comte dracula encore plus de puissance, d'aura maléfique, d'invincibilité, la question qui vient immédiatement à l'esprit est pourra-t'il être arrêté ?

De plus, Dracula est présenté, non pas systématiquement et uniquement comme un monstre sanguinaire, mais plutot comme un réel séducteur, il est doté d'une aura telle, qu'on à peine à croire qu'il n'apparait que 10 minutes dans le film. En fait, même invisible, sa présence est constante. Et on s'aperçoit qu'elle est même interne aux personnages, aux lieux, le comte, ou du moins sa présence maléfique, est partout.

Dans une scène géniale du film, tout le monde surveille les abords de la maison, attendant l'éventuelle intrusion du comte, on s'aperçoit que celui ci est déjà à l'interieur, caché dans la cave, le mal est donc (comme on l'avait préssenti) déjà dans la place. En opposition au comte Dracula / Christopher Lee, Peter Cushing interprète un Van Helsing beaucoup plus classique, très anglais, Sherlock Holmesque parfois, en tout cas beaucoup moins paillard que celui dépeint par Stoker à l'origine. Même si on le voit beaucoup plus souvent que le vampire à l'écran, sa présence est "eclipsée" par le mal omniprésent.

Autre aspect nouveau et important de cette adaptation, l'érotisme, déjà un peu présent avec l'aspect séducteur du baron Frankenstein, il prend ici, grâce à quelques scènes particulières, un peu plus de poids (attention quand même, nous sommes en 1958 et on ne peut pas encore se permettre grand chose). C'est surtout la scène de la femme vampire, fort désirable, mais éliminé par Harker d'un coup de pieu dans le coeur, qui révelle nettement cet aspect, le coup de pieu pouvant aisément être interprété différement (mais je vais pas vous faire un dessin). Bien sur, les morsures dans le cou, sont aisément interprétables dans ce sens, ces deux petits points rouges d'où coulent deux petits filets de sang, permettent aussi d'exhiber le cou ou l'épaules de forts jolies actrices.

Le film était très attendu, et son succès public sera colossal, superieur au déjà classique "Curse of Frankenstein". Par contre la critique sera très partagées, certains crient au scandale, d'autres au génie. En tout cas, du jour au lendemain, les noms de Christopher Lee, Peter Cushing, Hammer Films et Terence Fisher seront synonymes d'un réel renouveau du fantastique.

Quand on manque de matière, il y'a peu de monstres connus, on choisi généralement de prendre les mêmes et de recommencer. C'est ce qui va se passer pour Fisher, il réalisera toujours en 1958 "La revanche de Frankenstein", qui, croyez le ou non, est superieur au premier de la série.

Kronos

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