Channel 4 et le cin�ma

Channel 4 : une cha�ne diff�rente

CONTRAIREMENT � LA FRANCE o� l'alliance cin�ma/t�l�vision est souvent per�ue contre nature, la Grande-Bretagne favorise la complicit� de ces deux mondes. D�s les ann�es 50 va se construire un syst�me t�l�visuel solide�; d'abord avec la BBC puis avec le r�seau de t�l�visions priv�es ITV�; produisant des programmes de qualit� et suscitant une nouvelle g�n�rations d'auteurs, de r�alisateurs. Toujours avec l'id�e d'une mission de service public tant pour la t�l�vision publique que priv�e. Les ann�es 80 verront l'�mergence d'un producteur �clair�, Channel 4, la derni�re n�e des t�l�visions priv�es (1982) qui s'investira durablement dans la production de longs m�trages. En jouant la compl�mentarit� avec le cin�ma plut�t que la concurrence, en favorisant la finesse d'analyse et l'humour iconoclaste de jeunes talents, elle emp�chera le cin�ma britannique de dispara�tre totalement, renouvelant la formule c�l�bre ��le cin�ma est bien vivant et en bonne sant� � la t�l�vision��.

Des programmes anim�s d'un esprit novateur

La cr�ation de Channel 4 fut subordonn�e � une double mission�: d'une part s'adresser aux minorit�s, � ceux dont les id�es et les go�ts avaient rarement droit de cit� � la t�l�vision avec des exemples extr�mes comme les �missions Black on Black ou encore celle du Front de Lib�ration des Animaux. Une politique que la presse populaire caricatura en campant le t�l�spectateur type de Channel 4 en homosexuel borgne�; d'autre part innover en cr�ant des programmes compl�mentaires de ceux d�j� diffus�s, abordant des sujets d'int�r�t g�n�ral dans les domaines politiques, sociaux, culturels ou �ducatifs.

C'est donc Channel 4 qui la premi�re imposa le journal t�l�vis� � 19 heures, apprit aux t�l�spectateurs � d�cortiquer ce m�me journal dans son �mission The Media Show, proposa des documentaires historiques sur le Royaume-Uni en juxtaposant une vision marxiste aux interpr�tations plus traditionnelles. � l'arriv�e, une d�marche unique au monde o� pour la premi�re fois la puissance publique met en place une structure priv�e avec une mission de service public.

Une production ind�pendante stimul�e

En se limitant exclusivement � une politique de programmes et en d�l�guant la fabrication de ses �missions et de ses documentaires, Channel 4 a r�ussit � prouver qu'il �tait possible de travailler avec une structure l�g�re tout en s'appuyant sur un r�seau de producteurs ind�pendants. Cette politique a eu pour effet de stimuler la production ind�pendante en Grande-Bretagne�: en 1982 pr�s de 200 compagnies travaillent pour la cha�ne de Jeremy Isaacs�; en 1990 elles sont 500 � lui fournir 2140 heures de programmes. L'objectif de la cha�ne a �t� de favoriser la cr�ation d'un nombre important de compagnies pauvres mais stables avec des possibilit�s restreintes d'expansion. Une s�curit� qui a prot�g� la structure d'une �ventuelle d�pendance � un nombre limit� de fournisseurs qui auraient pu agir de concert contre ses int�r�ts �conomiques.

Un Term of Trade �tablit des normes contractuelles entre Channel 4 et ses fournisseurs. La premi�re, banquier et fournisseur de cash-flow des seconds, garde les droits des programmes qu'elle a financ� et r�cup�re 70% des profits sur les ventes futures de ces œuvres. � l'heure actuelle, la cha�ne a proc�d� � une r�duction de ses programmes originaux pour faire face aux bouleversements politiques qui ont agit� le monde audiovisuel britannique en 1991-1992 (voir un �quilibre menac��?), ces coupes claires dans la programmation atteignent de plein fouet les producteurs ind�pendants qui survivent difficilement. En outre, l'Independent Programme Producer's Association (IPPA) qui repr�sente les int�r�ts de ces compagnies souhaite une ren�gociation du Term of Trade notamment sur les probl�mes de droits. Avec l'explosion des march�s secondaires (vid�o, c�ble,�…) le secteur ind�pendant aspire � une redistribution plus �quilibr�e des profits. Malgr� ces difficult�s, Michael Checkland, directeur g�n�ral de la BBC annon�ait en 1989 sa volont� de confier une part de ses programmes aux producteurs ind�pendants, rendant ainsi hommage � la politique men�e par Channel 4 depuis sa cr�ation.

L'aventure cin�matographique de Channel 4

Il m'a toujours sembl� que le renouveau du cin�ma britannique dans cette d�cennie peut �tre d�crite (plut�t cr�ment) en terme de transfert de talents de la t�l�vision vers le cin�ma.

(Colin Mc Cabe)

Un esprit cin�ma

Il y a une quinzaine d'ann�es, l'industrie cin�matographique britannique aurait pu dispara�tre sans les efforts �nergiques des cha�nes de t�l�vision et tout particuli�rement de Channel 4. En 1981, Jeremy Isaacs �crivait�:

Personne n'attend de la plus jeune des t�l�visions britanniques qu'elle sauve le cin�ma britannique ou ce qu'il en reste�… Mais Channel 4 entend mettre l'accent sur le film en tant que forme artistique et support d'information, ce dont les cha�nes actuelles se soucient assez peu�… Le film est au cœur de la cr�ation de fiction pour l'�cran quelqu'il soit�…

'objectif de la cha�ne fut de se d�marquer de ses concurrentes en d�passant le stade de la production de dramatiques ou de docu-dramas (documentaires de t�l�vision combinant l'information documentaire et les avantages �motionnels de la narration de fiction) sp�cialit�s de la BBC et d'ITV. Elle devait donc cr�er une filiale pour intervenir directement dans la production ou la coproduction de films de long m�trage�: 1981, le d�partement Film on Four dirig� par David Rose et son �quipe, Karin Bamborough, Walter Donohue et Peter Ansorge. Les objectifs de Film on Four�:

  • Privil�gier les premiers films qui ��devront parler de la Grande-Bretagne d'aujourd'hui car les gens ont besoin de voir des films qui refl�tent leurs propres exp�riences�� (Jeremy Isaacs)�;
  • Mener une active politique des auteurs�;
  • Encourager le travail des cin�astes ind�pendants en couvrant le financement de leurs films et surtout en leur donnant la possibilit� de pr�senter ceux-ci en salles avant leur diffusion t�l�vis�e suivant en cela la th�se du producteur David Puttnam persuad� que malgr� la chute de la fr�quentation en salles, c'est dans un cin�ma qu'un film gagne sa r�putation et son identit�.

Sur le terrain

Une dimension �conomique

Il est impossible de parler de la production britannique de films � partir du d�but des ann�es 80 sans aussi parler de la t�l�vision britannique. Le r�le absolument crucial jou� par Channel 4 dans le financement du renouveau cin�matographique britannique est g�n�ralement reconnu.

(Duncan Petrie)

En effet, Channel 4 est la premi�re cha�ne europ�enne a avoir assum� le r�le de principal producteur, de financier et d'exploitant domestique d'une industrie cin�matographique nationale —�gr�ce au vineyard system, faire des films cette ann�e pour les retransmettre un ou deux ans plus tard. La cha�ne a eu pour principe de limiter le co�t de ses infrastructures � 15% de ses revenus�; l'argent ainsi d�gag� alimentant le budget de Film on Four soit pr�s de 13 millions (environ 110 millions de francs) par an pour un nombre de projets variant entre 15 et 20 films financ�s en totalit� ou en partie. � l'inverse de la BBC dans les ann�es 70, Film on Four ne se voulait pas un simple studio. Son fonctionnement, calqu� sur celui d'une maison d'�dition, visait en priorit� � garantir le financement ad�quat aux projets retenus et non � les diriger. C'est pourquoi chaque film fut trait� comme un cas particulier, le d�partement faisant varier sa part producteur selon les besoins. Ainsi les premi�res productions telle "My Beautiful Laundrette" (Stephen Frears, 1985) furent financ�es � 100% par la cha�ne. Par la suite Film on Four s'est tourn� vers les coproductions devenant une force financi�re majeure derri�re le British Screen et le British Film Institute Production Board (BFIPB).

Le film de Mike Leigh "High Hopes" est une question financi�re typique du financement de beaucoup de petits films britanniques produits dans la seconde moiti� des ann�es 80' Il est aussi un exemple du mod�le de financement Channel 4/British Screen�… Malgr� l'absence d'histoire ou de script, Channel 4 �tait pr�te � offrir un financement de 0,75 millions de livres sur la base des entr�es de Mike Leigh. Cela comprenait 300 000 livres de licence (pour montrer le film � la t�l�vision) et 450 000 livres d'investissements ordinaires�… Le British Screen accepta, c�dant aux pressions des producteurs d'offrir 350 000 livres.

(Stephen Romer)

La cha�ne travaille aussi avec des coproducteurs internationaux et outre la production britannique, investit dans le cin�ma d'auteur europ�en ("Paris, Texas" de Wim Wenders) et parfois africain. Elle participe �galement au financement du cin�ma ind�pendant am�ricain (elle co-produit notamment les films de Hal Hartley). Pour Colin Mc Cabe, � la t�te du British Film Institute Research Division, le fait que Channel 4 consacre un pourcentage de ses revenus pour r�g�n�rer le cin�ma britannique peut �tre per�u comme une taxe parafiscale sur les revenus de la t�l�vision anglaise. Habituellement les commentateurs soulignent que le cin�ma britannique est faible car il souffre de l'absence de m�canismes de subsides publics pr�sents dans les autres pays europ�ens (ex�: l'avance sur recettes fran�aise). En fait ��Channel 4 est effectivement devenu un �l�ment majeur de subsides (les subsides �tant un composant majeur de la production europ�enne) dans le cin�ma britannique et de plus cette structure de financement d'un cin�ma � petit budget est en fait sup�rieure, en terme d'aides � la cr�ation cin�matographique, aux syst�mes de subsides op�rant en Europe Continentale��. Cette sup�riorit� tient au fait que la proc�dure de d�cision adopt�e par Film on Four redonne une place pr�pond�rante au producteur et � la notion d'audience comme le souligne Colin McCabe�:

Il est rare de trouver un individu qui puisse simultan�ment s'immerger dans les d�tails de la cr�ation cin�matographique tout en ayant un regard critique d�tach� (une approximation de cette audience). Ce regard d�tach� doit �tre l'apanage du producteur. Le syst�me de subsides effectivement mis en place en Grande-Bretagne dans les ann�es 80 fut ce qui accorda aux producteurs le r�le qui normalement donne aux metteurs en sc�ne, le dernier mot�…

Un climat novateur

Les m�thodes de production peu orthodoxes employ�es par Channel 4 dans une industrie conservatrice et moribonde ont cr�� une diversit� sans pr�c�dent dans la production audiovisuelle britannique tant sur le plan des formes de production que sur celui des formes de repr�sentation. D'une part, dans le sillage de Film on Four, sont apparues de nouvelles maisons de production ind�pendantes, de petites compagnies (ex�: Working Title) dynamiques qui ont pron� un cin�ma moins acad�mique et � qui l'on doit nombre de films cultes de la d�cennie �coul�e�: "My Beautiful Laundrette", "Sammy and Rosie get laid" de Stephen Frears, "Mona Lisa" de Neil Jordan ou encore "Rude Boy" de Jack Hazan et David Mingay. Aujourd'hui, la plupart de ces compagnies ont �t� rachet�es par des multinationales � l'exemple de Working Title maintenant propri�t� de Polygram. En perdant leur ind�pendance, ces petites structures gagnent un apport logistique pour concurrencer les am�ricains sur leur propre terrain avec un cin�ma commercial anglo-saxon mais de sensibilit� europ�enne.

Mais Channel 4 a aussi favoris� le d�veloppement de structures plus importantes, largement financ�es et qui se sont �tendues dans d'autres secteurs audiovisuels comme le march� vid�o � l'exemple de Palace ou encore Artificial Eye. D'autre part, en ouvrant l'acc�s des moyens de production au plus grand nombre, la cha�ne a favoris� un climat d'innovations technologiques. C'est sous sa tutelle que des cin�astes ont pu exp�riment� de nouveaux proc�d�s comme le Blue-Screen, la post-production vid�o num�rique ou encore les effets graphiques par ordinateur.

Une dimension culturelle

L'arriv�e de Channel 4 dans le monde audiovisuel anglais a ouvert la voie d'un cin�ma � dominante ethnique. Pionni�re du m�tissage culturel, elle montre une optique nouvelle en Europe en int�grant les influences venues de l'Est, de l'Orient et du Sud. Et ce sont les cin�astes originaires des anciennes colonies qui, profitant de la fuite des talents � Hollywood, prennent le contre-pied de la mauvaise conscience post-coloniale illustr�e par Richard Attenborough ("Gandhi") ou David Lean ("A Passage to India"). Leurs figures de proue sont Hanif Kureishi, sc�nariste-romancier-r�alisateur ("My Beautiful Laundrette", "Prick up your ears", "London kills me") et Isaac Julien ("Young Soul Rebels") mais aussi John Akomfrah qui r�sume ainsi la situation�:

Je me souviens �tre all� � la BBC dans les ann�es 70 pour proposer un film sur les immigr�s en Grande-Bretagne, une sorte de Parrain. On m'a r�pondu que le sujet �tait sans int�r�t, trop obscur. Et puis soudain, il y a eu une ouverture avec My Beautiful Laundrette.

Une atmosph�re d'�mulation

Le succ�s et l'originalit� du d�partement cin�matographique de Channel 4 a cr��e une v�ritable �mulation au sein des autres compagnies d'ITV et de la BBC. Et comme le souligne Duncan Petrie : ��Il est maintenant difficile de trouver un film � petit ou moyen budget qui n'ait pour une part cruciale l'argent de la t�l�vision dans son montage financier��. De nombreuses compagnies de t�l�vision se sont donc jointes � l'effort de Channel 4 pour la sauvegarde du cin�ma nationale. Parmi les plus remarquables�:

  • S4C (Sianel Pedwar Cymrus), la t�l�vision galloise qui associ�e � Red Rooster, une petite soci�t� de production dirig�e par la galloise Lynda James a financ� malgr� des moyens limit�s des films directement li�s � la situation du Pays de Galles d'aujourd'hui notamment "Coming up Roses" de Stephen Bayly pr�sent� � Cannes en 1986 dans la section Un certain regard.
  • Central Independent Television avec sa filiale Zenith qui sous la direction de Charles Deaton a men� une politique cin�matographique originale r�compens�e en 1988 par le British Film Institute (BFI). Contrairement aux autres stations, elle est rest�e prudente dans ses investissements de production privil�giant le travail de d�veloppement des sc�narios. C'est � elle que l'on doit les audacieuses satires sociales "Too Much" de David Leland, "Sour Sweet" de Mike Newell ou encore "Wetherby" de David Hare.
  • Curieusement il aura fallu attendre huit ans pour que la BBC, grande productrice de docu-dramas, se lance dans la production et la co-production cin�matographique. Apr�s des d�buts difficiles (Sarafina de John McLane fut un �chec), la BBC a des raisons d'�tre optimiste : elle produit des films � petits budget, tourn�s en 5 semaines avec des r�alisateurs de qualit�. Dernier exemple en date, Stephen Frears avec "The Snapper", qui apr�s un passage t�l�vis� et un gonflage en 35 mm pour sa sortie en salles, continue brillamment sa carri�re en Grande-Bretagne et en Europe. Toutefois, Vincent Ostria, des Cahiers du Cin�ma remarque�:
    La BBC exploite sans complexe l'aura du cin�ma pour redorer le blason de sa cha�ne. La sortie en salles des films produits par la BBC parfois plus symbolique est un alibi m�diatique et strat�gique. Elle sert � attirer l'argent de coproductions pour r�aliser des produits luxueux que la BBC ne pourrait pas s'offrir dans un strict cadre t�l�visuel.
Page pr�c�dente Retour Page suivante