Le cin�ma britannique : �tat des lieux

Un cin�ma priv� d'autonomie

Une production an�mi�e

ALORS QUE SON INDUSTRIE CIN�MATOGRAPHIQUE EST R�PUT�E, que ses techniciens et ses infrastructures attirent les productions �trang�res — "Superman", "Stars Wars" ("La Guerre des �toiles"), "Raiders of the Lost Ark" ("Les Aventuriers de l'Arche Perdue") — tant dans le domaine du cin�ma que dans celui de la t�l�vision, du film publicitaire, des vid�o-clips ou de l'animation ; la Grande-Bretagne a le cin�ma le plus faible d'Europe Occidentale, � quasiment au bord de la mort � selon l'expression du critique et historien du cin�ma, David Robinson. En 1992, la Grande-Bretagne a produit 17 films de long m�trage contre 140 � la France. Entre 1984 et 1990, les investissements dans le secteur cin�matographique ont chut� de 275 millions de livres � 137 millions de livres.

Dans le m�me temps, la fr�quentation des salles n'a cess� de d�cliner pour atteindre son plus bas niveau en 1985 (55 millions de spectateurs) et effectu� depuis une remont�e spectaculaire, franchissant la barre des 107 millions de spectateurs en 1992.

Toutefois, le march� int�rieur britannique reste insuffisant pour justifier les risques de productions nationales : depuis le d�sengagement en 1981 de la soci�t� Rank des activit�s de production, de la soci�t� Goldcrest (dont la majorit� du financement provenait de la City), on assiste � la disparition des investisseurs priv�s anglais. Cette absence de d�cideurs est soulign�e par le r�alisateur et producteur Don Boyd :

Nous n'avons ici personne de comparable � vos grands producteurs. Personne qui ait de vrai projet ou qui encourage les cin�astes. Si bien que des talents immenses comme Ken Loach ou Mike Leigh ne sont quasiment pas soutenus par le syst�me tel qu'il existe en ce moment. Et c'est � des outsiders dans mon genre qu'est laiss� le travail ; � savoir garder ce cin�ma en vie sans argent, sans soutien financier de l'�tat.

En outre, cette disparition des investisseurs priv�s a �t� acc�l�r�e par le d�mant�lement des syst�mes d'aides au cin�ma entrepris depuis 1979 par les gouvernements successifs de Madame Thatcher. Une politique men�e au nom des forces du march�, du lib�ralisme et qui selon l'�conomiste David Murell a cr��e le climat le plus d�favorable aux investissements cin�matographiques dans le monde occidental. La production de films, court ou long m�trage, est donc devenue de puis une d�cennie, l'apanage de ce qui �tait dans les ann�es 70 le satellite de l'Establishment commercial � savoir les cha�nes de t�l�vision (principalement le r�seau ITV, Channel 4 et la BBC) et les organismes para-gouvernementaux tels le British Film Institute et les Arts Councils R�gionaux qui produisent des films � petits budgets souvent con�us comme des produits de t�l�vision.

Une domination am�ricaine

L'Angleterre est un des pays europ�ens le plus durement touch� par le d�ferlement des films am�ricains dont les parts de march� sur son territoire atteignent 90% pour 120 millions de dollars de recettes. Cette domination am�ricaine est accentu�e par l'�tat des secteurs interconnect�s de la distribution et de l'exploitation. La Grande-Bretagne poss�de le plus petit nombre de salles en Europe : 628 multi-salles soit 1250 �crans. Un march� que domine cinq circuits : Warner Bros, UIP, Columbia Tri-Star, 20th Century Fox, Rank ; les quatre premiers propri�t� de majors hollywoodiennes.

Ces circuits font peu pour la production locale mais ont une �norme influence sur le cin�ma anglais. Ils contr�lent un nombre important de salles, passant des accords d'exclusivit� pour la distribution des films am�ricains ; ils poss�dent donc un monopole virtuel sur l'exploitation des films et en contr�lent � grande �chelle l'acc�s aux salles favorisant le surbooking des blockbusters sur les �crans des grandes villes au d�triment des films � faible audience rel�gu�s dans les Art House Theaters, les salles d'art et d'essai, marginalis�es sur le march� int�rieur. Le 18 mai 1983, la Commission sur les Monopoles, reprenant ses conclusions de 1966 d�pose un rapport d�non�ant l'effet pernicieux de cette concentration en mati�re de distribution cin�matographique : le renforcement de l'oligopole aggrave la domination am�ricaine sur les �crans anglais et repr�sente une menace pour le pluralisme d'acc�s aux films et � la programmation.

De plus, pour l'analyste Julian Pentley, la faiblesse de la production britannique, la difficult� de financement de ses films d�pendent en partie de ce qui se passe dans la distribution et l'exploitation :

Les difficult�s pour trouver un distributeur (laissons de c�t� celui qui prendra le film par compassion), les d�lais d'attente co�teux pour des �crans vacants, les caprices (pour le dire poliment) des pratiques d'exploitation de West End, un climat critique ti�de tous ces facteurs et plus sont suffisants pour que tout investisseur potentiel se demande si cela vaut vraiment le risque d'investir en premier lieu dans la production cin�matographique.

En outre, malgr� la communaut� de langue, les films britanniques ont des difficult�s � p�n�trer le march� am�ricain o� ils sont consid�r�s comme des films �trangers confin�s aux circuits d'art et d'essai, parfois m�me doubl�s avant leur distribution. En 10 ans, seuls quinze films anglais ont d�pass� la barre des 10 millions de dollars de recettes, parmi eux : "Gandhi", "Chariots of Fire" ("Les chariots de feu"), "The Killing Fields" ("La d�chirure") et "A passage to India" ("La route des Indes"). Autant de films symboles du Picture Boom britannique du d�but des ann�es 80, autant de superproductions financ�es par les majors am�ricaines.

Domination hollywoodienne sur les �crans mais aussi colonisation des talents. Nombreux sont les techniciens, sc�naristes, com�diens, metteurs en sc�ne britanniques qui se tournent d�finitivement vers les �tats-Unis. Parmi les exemples les plus r�cents : les fr�res Scott, Alan Parker et Tony Richardson. Un ph�nom�ne si inqui�tant que Mamoun Hassan, ancien directeur de la National Film Finance Corporation (NFFC) a pu le qualifier de � colonisation des �mes �.

Un cin�ma plein de vitalit�

[…] Je ne serais pas surpris si, dans l'avenir on parlait des ann�es 80 comme d'un �ge d'or du cin�ma britannique […] Ces derni�res ann�es on a vu appara�tre chez nous une bonne douzaine de r�alisateurs : pas des gens d'un seul film, mais des gens qui continueront � travailler dans les ann�es qui viennent […] Notre production n'est n�gligeable ni en nombre ni en qualit� : nous avons m�me de tr�s bons films !

Ces propos du producteur David Puttnam soulignent que la d�cennie �coul�e a vu l'apparition d'une pl�iade de nouveaux talents d�montrant la grande capacit� de renouvellement du cin�ma britannique.

Le maintien et le renouvellement d'une grande lign�e de com�diens

De nouveaux artistes nourris � la fois par le th��tre et la t�l�vision : Jeremy Irons, Jonathan Pryce, Rupert Everett, Gabriel Byrne, Helen Mirren, Emma Thompson pour n'en citer que quelques uns.

La qualit� des sc�naristes

Le cin�ma anglais a souvent exploit� la veine litt�raire ; nombre de ses films sont des adaptations de romans, de pi�ces de th��tre, de dramatiques t�l�vis�es, de bande-dessin�es. De plus, le th��tre, la t�l�vision et les organismes para-gouvernementaux tels que le National Film Development Fund (NFDF) ont men� une active politique d'oeuvres originales. Ces diff�rents facteurs combin�s ont apport� au cin�ma un grand nombre d'auteurs qui dans les ann�es 80 se sont r�v�l�s des artistes complets.

� la fois sc�naristes de t�l�vision ou de cin�ma, romanciers, auteurs dramatiques, metteurs en sc�ne de leurs propres cr�ations � l'exemple de Terence Davies, Bill Douglas ou encore Derek Jarman.

Une œuvre cin�matographique �clectique

Dans son ouvrage "Learning to Dream", le critique James Park d�gage trois types de films : ceux rattach�s au courant r�aliste, les films de genre d'audience internationale et enfin les films visionnaires, de po�sie.

  • Un cin�ma bas� sur le r�el, h�ritier de la grande tradition du documentaire ouvri�riste des ann�es 60 et des jeunes gens en col�re du Free Cinema.
    Un cin�ma critique, violemment oppos� au pouvoir et qui sans analyser les causes du d�sordre social stigmatise un monde en train de se d�sagr�ger, celui de l'Angleterre thatch�rienne. Son contexte : une Grande-Bretagne en crise, le ch�mage, le racisme, la m�diocrit� et l'hypocrisie de la classe moyenne. Son d�cor : des terrains vagues, des zones industrielles abandonn�es.
    Ce sont les films de ceux que l'on a surnomm�s les fils de la BBC : Stephen Frears, Mike Leigh Ken Loach, Richard Eyre, Alan Clarke … Des films � petits budgets, sans star, souvent produits pour la t�l�vision.
  • Un cin�ma de genre, de ton britannique mais de financement am�ricain. Ce sont des films � gros budgets qui visent d'abord le march� am�ricain et international et qui vident le cin�ma britannique de toute sp�cificit�. Ces productions de prestige — "Gandhi", "Chariots of Fire" ("Les chariots de feu"), … — s'appuient sur de grands sujets, souvent historiques, qui si�ent � l'acad�misme dans la tradition de la bio-epic ou de la success-story. Ils exaltent le respect de la religion, le patriotisme, le go�t de l'effort individuel. Et comme le pr�cise la productrice Lynda Myles : � Il est plus facile de monter la production quand le sujet traite des ann�es 30, du pass� colonial ou "du bon vieux temps aux Indes" plut�t que de parler des probl�mes d'aujourd'hui �.
  • Un cin�ma onirique, visionnaire avec des metteurs en sc�ne plus artistes usant d'une cam�ra que cin�astes et qui m�lent films, peintures, �critures. Ce sont des individualit�s tels Peter Greenaway qui ne se reconnaissent ni cousinage, ni all�geance.

Une diversit� qui t�moigne selon Chris Auty d'une absence de coh�rence esth�tique de ce cin�ma dans les ann�es 80 et en ce d�but des ann�es 90. Ce que confirme le r�alisateur Roland Joff� � qui l'on doit "The Killing Fields" ("La d�chirure"), "The Mission" ("Mission"), "City of Joy" ("La cit� de la joie") :

Ce qui fait d�faut au cin�ma britannique, � mon avis, c'est une �cole, une famille. Nous sommes tr�s d�sarm�s, nous autres anglais (contrairement � ce qui se passe en France !) quand il s'agit de trouver une id�ologie, un discours commun. Chez nous, il n'y a que des individus et les tentatives de mouvement ne durent pas …

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