Terence Fisher

Terence Fisher - Partie 1

TERENCE FISHER et la compagnie de production Hammer Films, sont indissociables. Ils ont bien profité l'un de l'autre, combinant l'argent de la compagnie et le talent du metteur en scène pour le renouveau d'un genre tombé depuis 20 ans en désuétude, le cinéma fantastique, à partir de 1955 commencera la période la plus faste du cinéma de genre brittanique, la période dite des "Horror Films". Voyons comment son chef de file en est arrivé là.

Terence Fisher est né le 23 février 1904 à Maida Vale, il perd son père très tôt et voit son éducation prise en charge par ses grands-parents et sa mère. Une éducation qui sera forcément anglaise classique, ses grands-parents étant issus de l'ère Victorienne. Il est donc envoyé dans une école militaire. Á l'âge de 16 ans il termine ses études et est embarqué, à la demande de sa mère, sur le Conway, pour y faire ses classes maritimes. Il naviguera jusqu'à obtenir le grade de second maître, pendant un peu plus de cinq ans.

Il a environ 23 ans quand il décide de changer de vie, il a déjà beaucoup voyagé, la passion des mers et des océans ne l'a jamais vraiment gagné, il met définitivement pied à terre. Là, il cherche du travail, il se contentera pendant 6 ans d'être apprenti marchand de tissus. Au début des années 30, la dépression fait rage, il y a peu de distractions. Terence Fisher se passionne alors pour le cinéma, et plus particulièrement pour ses aspects techniques. Il veut devenir monteur.

Naissance d'une passion, du clap à la réalisation


Á force de traîner près des studios, demandant des petits jobs, à force d'insister, il finit par se faire embaucher comme clapman, pendant un an. Jusqu'en 1934 il sera un peu l'homme à tout faire, glanant même une fois le titre de troisième assistant réalisateur (imaginez en quoi consiste le travail du troisième assistant alors que le premier est un espion à la solde des producteurs, et que le second est là pour amener le café et les sandwiches...). Mais dès la fin de l'année Terence Fisher atteint enfin son but, il devient l'assistant monteur de Ian Dalrymple pour un film de Victor Saville "Evensong". Après deux ans de bons et loyaux services, il devient enfin monteur en chef. Il le restera pendant près de 11 ans, jusqu'en 1947, travaillant avec des pointures comme William Beaudine ou Walter Forde, une excellente école.




...un peu lassé par 11 ans
à découper du film...

Cette année là, par chance, le directeur et fondateur de la Rank Organization (sir J. Arthur Rank) cherchait à renouveller son cheptel de réalisateurs. Terence Fisher, un peu lassé par 11 ans à découper du film, se sent irrémédiablement attiré par la réalisation, il se lance donc dans l'aventure. Après quelques leçons d'ordre purement technique et organisationel, il est choisi pour s'essayer sur quelques moyens métrages (utilisés en première partie de programme). Grand admirateur de John Ford et Frank Borzage, il met en application, consciencieusement, les cours prodigués à la Rank et tout ce qu'il a pu apprendre à travers les films de ses maîtres.

Son premier moyen métrage "Colonel Bogey", est déjà une incursion dans le domaine du fantastique, on y conte l'histoire d'un fantôme, l'oncle James, qui continu à hanter sa demeure, encore habité par sa femme. Ses neveux vont tout faire pour chasser l'esprit un peu trop envahissant. La qualité n'est pas forcément toujours au rendez-vous (le manque de moyens est assez évident), le scénario, de part son classicisme, est un peu faiblard, et le recourt à la comédie (un peu lourde), bien trop systématique. C'est un film sans grand intérêt, un travail d'échauffement, simplement technique pour Terence Fisher. On peut noter ici, qu'à part quelques exceptions (essentiellement des co-réalisations), le talent de Fisher mettra longtemps, enfin, assez longtemps, à émerger complètement des considérations purement techniques (ce qui le passionnait au plus haut point à l'époque). La réalisation est pour lui un métier, bien loin des considérations d'un artiste. Fisher déclarait d'ailleurs, que, du jour où il put mettre un peu plus d'âme dans ses films, un peu plus de lui-même, il se trouva un peu dépourvu, n'ayant pas l'habitude de maîtriser autre chose que des aspects techniques.




...il choisira (mais avait-il
vraiment le choix) de
travailler à l'instinct...

En conséquence de quoi il choisira (mais avait-il vraiment le choix) de travailler à l'instinct, à l'inspiration du moment. Ce "choix" lui fut un peu dictée par les conditions de tournage à la Hammer Films (sur lesquelles je reviendrais en reprenant sa filmographie), la durée étant fixée à un mois, le temps des préparatifs réduit au maximum. De ce fait, et de par l'influence de ses maîtres, Fisher a toujours choisi de filmer simplement, utilisant à la perfection un énorme bagage technique, il choisissait toujours au dernier moment ses mouvements de caméra. Il les adaptait d'ailleurs aux mouvements des acteurs pendant les répétitions. C'est certainement ce qui donne c'est incroyable impression de fluidité dans les films de Fisher, les acteurs ont toujours l'air très à l'aise, toujours bien à leur place, et, de ce fait, bien plus crédible. On conviendra aisément que la crédibilité, dans un genre comme le fantastique, est un élément primordial. Ceci dit, cette simplicité du filmage, chez Fisher, il ne faudrait pas la confondre avec de l'académisme, voire de la fainéantise, jamais il n'utilise des plans généraux statiques (type théâtre filmé), jamais il ne cède aux effets faciles (pas de mouvement de caméra brusque, pour "surprendre" le spectateur), il choisira toujours les plans les plans les plus adaptés à conserver une certaine fluidité (les amorces en gros plans sont une de ses grandes spécialités). Tout cela sans forcément innover, c'est vrai, Fisher n'est pas un génie au sens Wellesien, plutôt un génie au sens Fordien, il se démarquera toujours de la réalisation de série, étoffant à "coups" de mise en scène des scénarios pas forcément toujours originaux.

Mais revenons à la filmographie. En 1947 toujours, sir J. Arthur Rank, content du travail de son élève, lui demande un second moyen métrage. Il s'agit de "To the Public Danger", que je n'ai pas vu, réputé comme extrêmement sombre, et dont les qualités ont été bien souvent vantées par les quelques critiques et heureux spectateurs qui ont eu la chance de le voir projeté (notons que ces premiers pas de Fisher sont parfois diffusés sur des chaînes américaines, en programmes de nuit).




...déjà très proche de la
façon dont Fisher va traiter
le thème de Dracula...

L'histoire de "To the Public Danger" est déjà très proche de la façon dont Fisher va traiter le thème de Dracula. Ici, une jeune fille, a priori bien innocente, se voit corrompue par un être extrêmement charismatique, un séducteur surdoué. Il la pousse à boire, et par la même, à révéler sa véritable nature. Voilà un film qui mériterait certainement une projection, voire une diffusion sur des chaînes à vocation culturelle (Arte ? Cinéfil ? Allez, un petit effort...) Dans ses nombreuses interviews Fisher aime à rappeler combien il était fier de son petit film. Ce qui n'est pas le cas de son troisème et dernier moyen-métrage, il déclare d'ailleurs n'en avoir aucun souvenir. Il s'agit de "A Song for Tomorrow", un mélodrame parait-il très moyen (trois fois qualifié de produit médiocre dans les quelques critiques que j'ai pu lire). Seul intérêt du film, semble t'il, la présence d'une jeune acteur, complètement inconnu (il faisait parti de la Highbury Charm School), un certain Christopher Lee. Nous arrivons donc au beau milieu de l'année 1948, malgré l'échec critique de son dernier moyen métrage (il faut dire que le mélodrame convient peu à Fisher), Sidney Box (son chef direct), lui offre la possibilité de réaliser son premier véritable long métrage. Plus important que la durée autorisée par la production (90mn au lieu de 45mn à 1h pour un moyen métrage), c'est la qualité des scénarios, des techniciens, et des acteurs (confirmés plutôt qu'étudiants) qui jouent sur les possibilités offertes au metteur en scène. Ainsi, Fisher démarre réellement sa carrière.

1948 : Les véritables débuts


Ainsi, Fisher voit son avenir se préciser, on lui propose de tourner son premier véritable long métrage. Il s'agit de "Portrait From Life", sorti en France sous le titre bien plus racoleur "Le mystère du camp 27". Ce film, aux projections et diffusions relativement rares, n'en est pas moins réussi. Il nous conte l'histoire du professeur Menzel qui perdit sa fille durant la seconde guerre mondiale. En visitant une exposition de peintures, il là reconnaît dans un des portraits. Aidé par le bellâtre de service, le major Lawrence, sa trace sera retrouvée dans un camp de déportés, un nazi l'aurait adoptée profitant de son état amnésique. La mise en scène reste extrêmement sage, Fisher y joue de son atout favori, la précision. Néanmoins, on sent déjà qu'il laisse les acteurs modifier les plans, ceux ci sont réellement à l'aise (Mai Zetterling en tête, remarquable) et donne au film un coté réaliste bienvenu, laissant de coté la caricature. Malheureusement le scénario n'est pas toujours à la hauteur de son sujet, laissant passer ça et là de bonnes occasions de donner plus d'ampleur à l'histoire, quelques scènes bien trop bavardes cassent un peu le rythme. Reste que l'essai est transformé, le film marche même plutôt bien, et sera distribué dans le reste de l'Europe et aux États-Unis (sous le titre "The Girl in the Painting"). Cette même année Fisher tourne "Marry Me!", un film à sketches, plus ou moins bien liés, autour d'une agence matrimoniale et des rencontres/quiproquos qu'elle provoque. Traité sur le ton de la comédie, le film n'a pas rencontré un succès public ni critique très probant. Fisher en parle comme d'un film "plaisant à réaliser", sans plus.

On en arrive, en 1949, à la première des deux co-réalisations avec Anthony Darnborough, ce film "The Astonished Heart" ("Égarement" en France) est une sorte de redite du "Brève rencontre" de David Lean. Mais ici, Noel Coward semble avoir pris le dessus sur la réalisation et imposé ses conceptions. Comme il s'agit d'un (fameux) auteur de théâtre, à très forte personnalité, le film reste trop souvent du théâtre filmé. Coward mise tout sur les dialogues (j'ai rarement vu un film aussi bavard), là où Lean, en co-écrivant le scénario de "Brève rencontre" avait réussi à imposer un aspect cinématographique, ici l'ennui est maître, on pourra quand même remarquer l'excellente photo de Jack Asher, aussi réussie que dans "Portrait From Life", seule sucrerie à se mettre sous la dent.

Heureusement la seconde collaboration entre Fisher et Darnborough (la dernière par ailleurs) sera d'un autre acabit. "So Long at the Fair..." ("Si Paris l'avait su" en France), réalisé en 1950, est une belle réussite.




Le sujet devrait vous
rappeler quelque chose...

Le sujet devrait, d'ailleurs, vous rappeler quelque chose : deux jeunes anglais sont en voyage à Paris pour visiter l'exposition universelle de 1889. Après une journée pour le moins curieuse, et une étrange nuit à l'hôtel, la jeune femme se réveille pour s'apercevoir que son frère, et la chambre qu'il occupait, ont disparus. Bien sur, la directrice de l'hôtel prend l'air étonnée, et affirme que la jeune femme est arrivée seule. Privée de tout repère, cette innocente anglaise se retrouve prise dans les mailles des méchants français. Bien sur j'exagère un tantinet, disons que les français ne sont pas forcément présentés sous leur meilleur jour, par contre, les anglais sont d'éternelles victimes constamment tourmentés par leurs voisins d'outre Manche. Vous pourrez remarquer qu'en inversant les deux sexes (donc, la femme disparait et l'homme se retrouve seul face au complot français), on obtient au détail près le scénario d'un certain "Frantic" de Roman Polanski. Seules, les raisons de la disparition sont différentes (bien sur, je ne les révellerai pas ici). Le film est parfaitement maîtrisé par ses réalisateurs, il faut bien sur signaler qu'ils ont eu de gros moyens financiers. Les décors de Paris sont parfaits, bien insérés dans la continuité, agrémentés de quelques exterieurs, on y croit de suite, en fait, on y est. Par ailleurs, Fisher et Darnborough nous offrent quelques plans plus originaux, une vue de l'intérieur d'un coffre, un travelling superbe et inquiétant sur la directrice de l'hôtel, joli travail d'accélération du montage quand Jean Simmons succombe, au fur et à mesure, à l'affolement. Les acteurs sont parfaits, Dirk Bogarde rayonne dans le rôle du peintre (Aaaah Paris, ses femmes, ses peintres), qui aidera Vicky Barton (Jean Simmons). On regrettera (même si c'est parfois fort drôle) les clichés sur les français, parfois grossiers. D'un autre coté, cette vision des français donne réellement l'impression que l'héroïne est paranoïaque, et les soupçons s'en trouvent bien malmenés, un effet peut-être involontaire mais réussi. Avant d'être engagé par la Hammer Films, Fisher réalise un petit film policier pour le producteur Lance Comfort, "Home to Danger", il a plutôt mauvaise réputation, celle d'un polar de série sans surprise, dont la réalisation fut qualifiée de lourde.

Kronos

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