Une chambre en ville

de Jacques Demy
1982 - 1h32 - France ("Une chambre en ville")
avec : Dominique Sanda, Danielle Darrieux, Richard Berry, Michel Piccoli, Fabienne Guyon, Jean-François Stévenin
musique : Michel Colombier

Vincent Fournols, 27 janvier 1998 :

E CROYAIS l'affaire entendue : j'avais effacé le film il y a moins d'un an, et, lors de son récent passage à la télévision, je ne m'attendais pas à rester une bonne demie-heure devant l'éran, que je quittai à regret.

Ce film est un cas : c'est probablement l'un des plus gros ratages musicaux de Demy, avec l'infâme "Parking" (1985), tellement infâme que l'IMDb ne le connaît même pas ! La partition de Michel Colombier est une déception permanente à l'oreille : hormis le choeur de grévistes, aucune mélodie n'est mémorisable, les changements de rythmes, de tonalités ou d'orchestration sont permanents, et l'auditeur ne peut guère se raccrocher à une structure de couplets : la même mélodie est répétée au cours d'un texte sans refrain.

Et paradoxalement, l'écoute approfondie révèle une musique passionnante, une mélodie qui précisément épouse le texte en fonction de son sens et de sa dramaturgie, un peu comme dans les récitatifs d'opéras ou de Passions de Bach. L'orchestration est très soignée, très travaillée. Mais voilà, une musique de film, on doit d'abord être capable de l'avoir en tête en sortant de la salle (ça doit être le cas pour James Horner dans "Titanic" !), de toucher l'oreille au moins autant que la tête, et là, sur ce premier point, vraiment rien...

Et c'est d'autant plus décevant que tout le reste du film est exceptionnel : le scénario, qui retrace un drame social et passionnel à Nantes au cours des grèves des chantiers navals en 1955, est remarquablement structuré et la présentation des personnages et des situations est exemplaire. L'interprétation est remarquable : Richard Berry, Stévenin, Piccoli sont excellents, Sanda aussi froide qu'à son habitude, Fabienne Guyon est parfaite et Danielle Darrieux EST pour moi la meilleure actrice française de tous les temps (mais comment ne sont-elles pas toutes comme elle ? :)

Les voix sont parfaitement choisies, les décors (de Bernard Evein, décorateur attitré de Demy) sont toujours aussi réussis par leur souci du détail et leurs couleurs très franches. Bref, tout est remarquable, sauf que la musique ne passe vraiment pas, ce qui est un peu dommage pour une comédie musicale !

Un petit mot d'histoire de la distribution française : le film sortit en novembre 1982, le même jour (ou à une semaine d'écart) que "L'As des as" du couple Oury /Belmondo. Ce dernier battit à l'époque tous les records du nombre d'écrans et de la fréquentation du premier jour (qu'"E.T." allait encore améliorer quelques semaines plus tard). La critique s'en émut, qui déclencha une très violente polémique stigmatisant le cinéma commercial contre le cinéma artistique d'auteur, représenté par le film de Demy. Ce fut le dernier grand débat de la sorte en France.

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