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Il faut sauver le soldat Ryande Steven
Spielberg
(Note : ces articles contiennent des révélations sur le film, préjudiciables à une bonne découverte en salle !) Géraud Canet, le 2 octobre 1998 :
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![]() [...] le stress que l'on ressent |
Les scènes de combat, on ne peut plus réalistes, étaient déjà entrées dans la légende avant même que le film ne soit sorti. Il y a de quoi : on retient son souffle avant les scènes de combat, et le stress que l'on ressent pendant ces scènes est bien réel. Il y a tout de même un petit reproche que j'ai envie de faire. Pendant cinq minutes, la pression est mise au maximum, et c'est vrai qu'on est vraiment sur le terrain. Jamais vu ça. Et puis, très tôt, Spielberg lance une sorte d'effet esthétisant, en diffusant en saccadé certains événements, nous montrant la scène sous le regard abasourdi du capitaine Miller. À vrai dire, ça casse plutôt l'ambiance, et il faut un certain temps pour s'y replonger. C'est dommage. J'ai l'impression que Spielberg voulait absolument caser son témoignage du type qui ramasse son propre bras en état de choc, mais c'est assez maladroit. Spielberg semble prêt à oser toutes les malhonnêtetés pour toucher à l'honnêteté. Je veux dire par là qu'il ne recule devant aucun artifice typique du cinéma hollywoodien, devant aucune simplification, devant aucun effet, pour accréditer la thèse selon laquelle il aurait réalisé un film "historique", dans le but d'éduquer les masses sur la réalité de la guerre. Parfois, il parvient à communiquer cette recherche de l'honnêteté. En particulier, la façon dont sont considérés les soldats est, bon an mal an, relativement équitable. Partout, on trouve des courageux (des fous ?), partout on trouve des lâches, et des deux côtés les consignes sont les mêmes : ne pas craindre la cruauté, mais rechercher l'efficacité. Rien de plus réaliste, en somme. Les lâches ne se découvrent pas spontanément une vocation de courageux, les Allemands qui se rendent connaissent un sort aléatoire, on s'applique bien à nous expliquer que chaque acte cruel commis par un camp aurait pu être commis par l'autre dans les mêmes conditions ; il y a même des Allemands qui ne se donnent pas la peine de tuer des Américains apeurés et immobilisés par la trouille, en train de chialer. À propos des Allemands qui se rendent, le réalisme des scènes de combat nous amène à nous interroger nous-mêmes : à la place des Américains, qu'aurais-je fait ? Je suis survivant d'un massacre d'une effroyable cruauté, dans un état nerveux plus que précaire, à la fin d'un assaut meurtrier dans des conditions atroces, certains ennemis se rendent : je tire ou pas ? Le film est suffisamment abouti pour amener à ce type de questionnement, j'ose dire "en connaissance de cause", et ce n'est pas là son moindre mérite. De même, le spectateur ne manquera pas de s'interroger sur son comportement éventuel sur le terrain, par le biais du personnage d'Upham (le peureux), dans lequel le public honnête est censé trouver un reflet. Cela étant dit, le fait de suivre les Américains et de ne rencontrer qu'épisodiquement les Allemands mène naturellement à développer plutôt les aspects courageux des Américains, et dévoiler plutôt les petites lâchetés des autres. |
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![]() [...] le film n'échappe
pas à certains |
En règle générale, le film n'échappe pas à certains effets destinés à augmenter le suspens et qui agacent finalement. Il y a aussi des scènes inutiles, et les spectateurs connaissant à la fois le générique et Matt Damon seront les premiers à remarquer une des scènes les plus inutiles, et un des effets les plus gratuits du film. Je m'étonnerai toujours de voir des réalisateurs développer des films sur trois heures, en ajoutant des scènes destinées à gagner du temps. Ce n'était vraiment pas la peine ! Là, Spielberg est malhonnête. Mais la plus grande malhonnêteté du film, c'est de vouloir,
sous le prétexte de présenter un film "historique"
à l'attention des jeunes générations, ne présenter
qu'un film à succès potentiel, regorgeant et distillant
à l'envi la liqueur habituelle des valeurs américaines.
Hé oui, on y retrouvera sans surprise (mais avec une déception
non dissimulée) la glorification du courage et de l'héroïsme
au détriment du bon sens, on y traitera fort lourdement les thèmes
de la famille et de la patrie, et on y rencontrera tous les poncifs habituels.
Mais ce qui est pire, c'est que le film lui-même semble vouloir
occulter son principal attrait (les scènes de combat, crues, violentes
et réalistes), en faveur d'un argument "fil rouge" sans
grand intérêt, plutôt niais, et carrément mal
traité, relevant d'une série de questions qui semblent tenir
à coeur du cinéaste : suis-je un homme bien, la vie
d'un homme, même un homme bien (à prononcer avec un ton langoureux
et sentencieux : " Mais, parfois, Spielberg évite les pièges habituels du cinéma hollywoodien. Et, on le voit d'autant mieux qu'il nous le fait remarquer, le bougre, par des clins d'oeil plutôt appuyés. Il balise les scènes à suspens, il utilise un langage cinématographique connu, reconnu et éculé, puis se détourne, fait une pirouette, et nous laisse avec notre surprise de ne pas le voir succomber (c'est toujours un avantage sur Cameron : il sait résister à la tentation). Imaginez, le soldat allemand et le soldat américain se battent au corps à corps, le petit trouillard monte l'escalier qui mène aux deux belligérants, gros plan sur les pieds du trouillard, gros plan sur le couteau qui menace de s'enfoncer sur la poitrine américaine... que va-t-il se passer ? Si vous pensez connaître la réponse, sachez que papa Spielberg, qui joue avec nous ce soir, a décidé de nous surprendre. Très bien, mais ce n'était pas la peine d'insister aussi lourdement. |
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![]() Il reste des scènes de combat,
parmi |
Simplification, distillation des messages traditionnels du cinéma hollywoodien, effets dramatisants gratuits, alors que reste-il ? Il reste des scènes de combat, parmi les plus poignantes, les plus prenantes, les plus dures du cinéma. Comment ne pas souffrir avec les soldats, comment ne pas ressentir cette peur de la bataille, comment ne pas être effroyé, écoeuré, comment ne pas les comprendre, tous ceux-là, qui sont morts pour une cause, pour la liberté, et qui ont tant souffert ? Le film, bien après la fin, reste ; on s'en souvient, on n'oublie pas, on est choqué, on garde des images en mémoire, insistantes, dures. On a compris. On a compris, si c'était encore à comprendre, la réalité des combats. Pouvoir provoquer de telles sensations, avec une telle force, c'est vraiment un travail de virtuose. Spielberg filme en maître, il a le pouvoir de dramatiser en un plan n'importe quel personnage, n'importe quelle situation, et nous les faire accepter, nous en faire souffrir. Il faut le voir pour le croire. On s'étonnera dès lors que, malgré le petit mot d'avertissement que votre cinéma de quartier ne manquera pas de scotcher à sa vitrine, le film soit autorisé pour tous publics. C'est l'avantage de l'effet Spielberg. Qui d'autre peut se permettre de réaliser un film, tout public, muni de tous les détails visuels nécessaires, sur les atrocités de la guerre ? Mais Spielberg filme comme Spielberg, en utilisant son langage, qui est celui d'un cinéaste hollywoodien à (grand) succès, et fait de sa thèse un spectacle. Il cherche le meilleur compromis entre honnêteté et rentabilité, et présente comme résultat un film souvent fort, qui n'échappe pas aux règles et limitations des films commerciaux, car c'est un film commercial. C'est un film commercial dont le sujet tient à coeur au cinéaste. Il faut prendre ce "soldat Ryan" comme il vient : film multiple, expérience cinématographique accomplie, film à succès hollywoodien, faisant de multiples concessions au genre. C'est à la fois un film réussi et un film raté. C'est à la fois un film honnête et malhonnête. Athuru, le 4 octobre 1998 :
Qu'on puisse me faire dire et penser cela d'un film ayant pour cadre le Débarquement en Normandie, et comme protagonistes des Gi's venus de si loin mourir pour nous libérer du nazisme, à moi qui ai un immense respect pour eux et ai pleuré à Colleville, est un triste exploit que je n'aurais jamais cru possible et qu'un Spielberg au sommet de sa propagande réac' a pourtant réussi. Honte sur lui ! Passons rapidement sur la qualité technique du film et la désormais fameuse première demi-heure, effectivement scotchante (on évitera de passer au MacDo juste avant), d'autant plus époustouflante cinématographiquement qu'elle est "vierge", qu'elle n'est encore teintée d'aucun discours ambigu, d'aucune morale douteuse. Des soldats dans des péniches de débarquement se font massacrer avant même d'avoir vu la Terre de France, alignés comme au tir aux pigeons ; on est avec eux, on est eux, contre un ennemi encore invisible derrière ses miltrailleuses, ennemi dont on ne doute pas un instant qu'il sera nommé, démasqué, dénoncé dans la suite du film car c'est lui contre lequel on se bat, c'est lui la cause de ce débarquement et de cette bataille. |
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![]() Passons rapidement sur la qualité |
Passons sur quelques vrais grands moments de cinéma, tous quasi-muets : la scène où une secrétaire reconnait le nom Ryan sur plusieurs fiches et fait le lien entre les 3 frères, la scène où on vient annoncer à la mère Ryan la mort de ses enfants, celle où les soldats se débattent et meurent sous l'eau, ou celle où le commando joue avec les plaques de soldats morts devant les nouveaux venus... Du très grand cinéma. Spielberg sait filmer ; là n'est pas le problème. Passons aussi rapidement sur la descente qui suit le "shoot" du D-Day, "climax" que nulle scène ne viendra égaler, d'où une légitime déception. Non pas que le film soit mauvais pendant encore 2 (longues) heures 30, mais il est forcément, de facto, lent et en retrait ; les scènes se succèdent et se trainent engendrant un manque que la dernière bataille du film (la défense du pont), injection coupée, frelatée de la morale déversée pendant l'heure qui la précède, ne pourra combler ou nous redonner le kick initial. Passons enfin sur l'aberration scénaristique que Spielberg n'a apparemment pas su dénouer, et qui donne 3 points de vue pour un seul flashback, 3 personnalités pour un seul vétéran en visite à Colleville : d'abord le Capitaine Miller (Tom Hanks), puisqu'on "fond" sur lui dans la péniche, ensuite Upham l'écrivain "à la machine à écrire", dont tout le milieu du film est décrit via son regard et ce qu'il écrit, enfin Ryan qui EST le vieux monsieur. Comment peut-on voir le débarquement via Ryan puisqu'il n'y était pas (parachuté à l'arrière des lignes) est un mystère. Passons... Passons vite, pour nous intéresser plutôt au discours du film, à son message. Si on ressent un malaise en sortant de ce film ce n'est pas tant dû aux cadavres, au sang qui gicle ou aux tripes arrachées, qu'au message quasi-subliminal distillé tout au long. On sort avec un doute, qui grandit et qui ne vous quitte plus, doute sur ce que le film, Spielberg a bien voulu dire. |
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On entend et on lit à droite et à gauche que " "Ryan" un film "anti-militaires" ? Oh bien sûr
pas anti-trouffions qui n'en peuvent mais, réquisitionnés,
"draftés" qu'ils sont pour venir libérer loin
de chez eux un pays qui n'est pas le leur, mais serait un film anti-militariste,
anti-gradés, anti-hiérarchie, ceux qui prennent les décisions
mais ne vont pas au feu ? (" Au delà d'un discours héroïque ou de reconstitution historique, déjà traité par le "Le jour le plus long", le seul, l'unique discours possible, ayant pour cadre le débarquement, est un discours universel de libération, de reconquête de cette liberté, de lutte contre le mal, mal absolu représenté par le nazisme . L'énorme problème, le hic majeur de ce film c'est qu'il ne tient pas ce discours. Le gigantesque scandale c'est qu'il s'approprie un moment universel, un évènement qui appartient à l'humanité toute entière, la reconquête de sa liberté, pour en faire un film anti-universel, un film à destination unique du public américain, (mais du marché mondial), un film américano-centré, un film au discours (doublement) pourri, encadré de deux plans du drapeau américain. |
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Où sont les Français,
où sont les
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L'exact contraire d'un "Titanic"
où Cameron
s'empare d'un micro-évènement pour en faire un symbole universel.
Finalement tout est déjà dans le titre : "Il faut
sauver le soldat Ryan". Ils ne sont pas là pour libérer
un continent, combattre le nazisme, se battre pour une cause noble... non
ils sont là pour récupérer un brave petit gars de chez
eux, du Middle West, tout droit tiré d'un tableau d'Edward Hopper,
small piece of americana directement sortie d'un spot publicitaire républicain
(ou démocrate d'ailleurs). Ils ne viennent pas sauver des civils, des
populations, des familles, des enfants, ils viennent sauver Ryan. La seule
tentative, par le soldat Caparzo,
contre les ordres du Capitaine (Tom Hanks), de sauver un enfant du massacre
et de la ligne de mire d'un tireur isolé pour l'emmener plus loin,
se termine par la mort du soldat. Il a désobéi au Capitaine,
il a payé : il est mort. Bref, " Cette famille française sera d'ailleurs la seule à apparaî
tre dans ce pays fantôme, parcouru uniquement par les Américains
(où sont les Français ? où sont les Anglais ?
où sont les Canadiens ? où sont les Forces Alliées ???),
dans ces villages déserts, dans ce pays qui est la France mais
qui pourrait être n'importe où (quelques pubs pour l'alcool,
quelques inscriptions, mais pas de carte, peu de noms) n'importe quand,
contre un ennemi qui pourrait être n'importe lequel. L'ennemi mystérieux
derrière les mitrailleuses sur la plage n'est presque pas nommé,
jamais dénoncé dans tout ce qu'il représente pourtant :
certes, on trouve un couteau des jeunesses hitlériennes, certes
le soldat Mellish
"nargue" les prisonniers allemands avec sa Croix de David en
criant " |
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Indiana Jones lui se battait clairement contre des nazis clairement identifiables, tant soldats et gradés, que matériels décorés de croix celtiques ; pourquoi ce recul, non fortuit, de la part de Spielberg en passant de la fiction "Lost Ark" à la fiction "Ryan" ? Où sont passés les sigles nazis et les uniformes allemands dans "Ryan" ? Pourquoi l'armée allemande est-elle aussi peu identifiable ? On a connu Spielberg plus explicite dans sa description des ennemis... Des ennemis "reproductibles" sur un territoire isotrope, pour une cause (la libération de l'Europe du nazisme) jamais annoncée comme telle, "Ryan" se lit trop facilement comme une métaphore : la métaphore de toutes les interventions américaines, le 6 juin n'en étant qu'une parmi d'autres , depuis les "inattaquables" "Italie, Africa" jusqu'au plus récentes, et moins "inattaquables" Nicaragua, Irak... Non seulement "Ryan" n'est pas le film anti-militariste que
certains voudraient y voir mais il est même le contraire, en s'avançant
masqué, comme les militaires. La guerre c'est moche mais il faut
la faire. Avec un tel prétexte historique, aucun européen
ne peut penser autrement... Aucun Américain non plus d'ailleurs
; personne. Prise d'otage. It's a dirty job but somebody's got to
do it ! Et ce somebody c'est l'Amérique " En s'appropriant la plus inattaquable des interventions américaines
pour justifier tout le reste, Spielberg fait main basse sur l'histoire.
Message aux Européens : " |
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![]() Message aux
Américains : |
Message aux Américains : " Vous avez dit anti-militariste et universel "Il faut sauver le soldat Ryan" ?????? Autres liens :
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