Le point de non retour

Le point de non retour

de John Boorman
1967 - 1h32 - USA ("Point blank")
avec : Lee Marvin (Walter), Angie Dickinson (Chris), Keenan Wynn (Yost)
scénario : Alexander Jacobs et David & Rafe Newhouse, d'après le roman The hunter de Donald E. Westlakesous le nom de Richard Stark
photo : Philip Lathrop
musique : Johnny Mandel

Raphaël Goubet, 31 janvier 1999  (Note : cet article contient de sévères révélations susceptibles de gâcher votre plaisir à la première vision de ce film.) :

WALKER EST UN CRIMINEL trahi par ses complices (dont sa propre femme), qui emportent l'argent qui lui revenait et le laissent pour mort dans la prison d'Alcatraz. Mais Walker survit, et disparaît. Plusieurs années plus tard, un inconnu lui propose de récupérer les 93 000 dollars que Reese lui a volé, et avec lequel il s'est confortablement établi au sein d'une organisation qui depuis s'est développée. En échange de son aide (un nom ou une adresse occasionnellement), l'homme réclame l'organisation. Mais pour récupérer son argent, Walker devra sans cesse remonter les échelons de l'organisation, chacun refusant la responsabilité du vol et le renvoyant au niveau supérieur. Reese mort, Walker devra s'adresser à Carter ; Carter mort, c'est chez Brewster qu'il devra chercher son argent ; le supérieur de celui-ci, Fairfax, refusant de payer, Brewster arrange un échange, sans crainte de Fairfax qu'il dit en sursis. Lors de l'échange, Brewster est abattu par l'inconnu qui avait fait la proposition à Walker : Fairfax, maintenant seul maître de l'organisation. Alors que Walker cherchait à la base, c'était déjà le sommet qui le poussait. La boucle est bouclée.

"Point Blank" est un film qui n'avance pas. A chaque étape de sa chasse, Walker est ramené au point de départ ; il n'a pas son argent, et doit continuellement s'adresser au-dessus, montant une échelle qui descend. Ainsi en est-il du générique, composé d'un mélange d'images fixes et en mouvement : quoiqu'il fasse, Walker se trouve toujours coincé.

Propulsé par le sens visuel exceptionnel de Boorman, "Point Blank" est un exercice de style hallucinant. Le spectateur se sent pris dans une spirale dont il ne peut sortir, comme Walker, dont il ne peut comprendre les tenants et les aboutissants, incapable de saisir les véritables motivations du héros. Le film est sans cesse ramené en arrière, par ces flashbacks continuels, dans lequel une scène présente est associée à une scène passée. Ici, chaque image est patiemment choisie, prenant les apparences d'un chaos qui n'en est pas un, puisque tout y est arrangé pour ne mener nulle part. Un film abstrait, sans début ni fin. Le titre français est décidément mal choisi.

Étalant l'une après l'autre les scènes d'anthologie (comme la bagarre dans les coulisses du cabaret, avec en arrière plan ces portraits projetés en gros plan), Boorman, qui signait ici son deuxième long métrage, pose sa griffe où qu'il plante sa caméra. Un style flamboyant, souvent maîtrisé, comme ici, dans "Delivrance" ou "Beyond Rangoon" parfois excessif, comme dans "Excalibur" ou "Zardoz", parfois encore plus poétique ("Exorciste II", "La forêt d'Emeraude"), ou encore paradoxalement mais justement retenu ("The General"), un style certainement original et rare, et qu'on a toujours un grand plaisir à redécouvrir.

À remarquer que "Point Blank" a fait l'objet d'un remake, "Payback", de Brian Helgeland (scénariste de "L.A. Confidential"), avec Mel Gibson. Projet peut-être malheureusement un peu vain, risquant de faire de cette leçon de cinéma un simple thriller que l'original n'est pas.

Le coin du bourreau des drosophiles :

"Point blank" est au coeur d'un vrai casse-tête d'analogies de titres et de films. Qu'on en juge :

En fait tout provient de l'abondante production ayant pris "The killers" pour titre, (7 selon l'IMDb à début 1999). Il faut partir du mémorable et quasi-mythique "The killers" de Siodmak en 1946, avec Burt Lancaster et Ava Gardner. Celui-ci fait l'objet d'un deuxième remake en 1964 par Don Siegel ("The Killers", 1964) avec... Lee Marvin. Il est probable que c'est pour tenter d'aérer ce créneau sémantique fort encombré que le distributeur français choisit comme titre d'exploitation "À bout portant".

Pas de chance, Marvin revient donc sur les écrans 3 ans plus tard avec ce "Point blank", titre dont la signification est précisément à bout portant. Nouvelle créativité sémantique pour choisir finalement en français "Le point de non retour".

À partir de là, Les choses se corsent un peu dans toutes les directions : on retrouve en 1997 un "Point blank" de Matt Earl Beesley avec Mickey Rourke qui n'a aucun rapport avec son homonyme, et même un "Grosse Pointe blank" de George Armitage avec John Cusack. "The point of no return" est aussi un des titres anglophones du photocopillage du "Nikita" de Besson, commis par John Badham (connu également en anglais sous le titre "The assassin")

Par ailleurs, le titre du film de Boorman est souvent confondu avec celui d'un autre superbe film : "Vanishing point" (traduction française : point de fuite) de Richard Sarafian en 1971, exploité sous le titre "Point limite zéro". Et, dernière coquetterie, Raul Ruiz réalise en 1983 un "Point de fuite", dont le titre anglais est... "Vanishing Point" !

Étonnant, non ?

V.F.

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