Godzilla (1954)

Godzilla

de Inoshirô Honda
1954 - 1h38 - Japon ("Gojira")
avec : Akira Takarada, Momoko Kochi, Akihiko Hirata, Takashi Shimura
sortie : Japon (3 nov. 1954), version USA (27 avril 1956), France (14 fév. 1957, version américaine)

Kronos, 14 sept. 1998 (note : pas de r�v�lations dans cet article, vous pouvez le lire sans avoir vu le film auparavant) :

SOUVENT CONSIDÉRÉ, à tort, comme un film de monstre simplet et naïf, on s'aperçoit à la projection de sa version originale, que "Godzilla", l'original, est bien plus riche qu'on aurait pu le croire. En fait, le film est une immense métaphore, un amiral japonais ne déclarait-il pas, après l'attaque de Pearl Harbor : "Nous avons réveillé un géant endormi". Il se pourrait même que cette phrase ait inspiré directement les scénaristes.

Encore traumatisé par les attaques de Nagasaki et Hiroshima, le Japon trouve à travers Godzilla un moyen de montrer les ravages causés par la bombe. Plusieurs scènes, plusieurs images y sont directement liés, la ville détruite, en flamme, après le passage du monstre ou alors l'impuissance de l'armée japonaise face au dinosaure radioactif. D'autres scènes bien plus dures, semblent s'inspirer directement de la réalité. L'une des plus poignantes : une infirmière mesurant le taux de radioactivité sur des enfants, faisant un signe d'impuissance de la tête, ou encore l'hôpital surpeuplé, les enfants en larme. Tout ceci est renforcé par deux choix de mise en scène essentiels : un scénario filmé comme un documentaire, alternant les annonces officielles, les discussions de savants, les plans sur les quotidiens nationaux, mais aussi un noir et blanc austère donnant aux décors détruits beaucoup plus de poids. D'ailleurs la ressemblance entre les photos d'Hiroshima après la bombe et les décors du film, sur deux ou trois plans particuliers, est totale.

Godzilla (1954)

Coucou, qui c'eessssssstttt ???



Le personnage du savant écologiste est, à ce titre, tout à fait représentatif, il ne veut pas détruire le monstre mais l'étudier, on peut l'interpréter de nombreuses manières, un message écologique simple bien sur, mais aussi une volonté d'empêcher le phénomène de se reproduire, en le comprenant mieux. Comme il le dit, à la fin du film, (et croyez moi, les scénaristes ne pensaient pas encore au succès du film et à ses nombreuses suites) : "Il y aura d'autres Godzilla".

Il y a aussi un personnage tout à fait passionnant, le savant inventeur de l'arme qui peut détruire le monstre, sa présence est tout à fait symbolique et à souvent été interprétée comme un avertissement (OK, vous avez la bombe, mais attention, on pourrait trouver pire). Une interprétation à laquelle j'adhère volontiers, tout à fait dans le ton du film, surtout si l'on considère la fin et en particulier la très belle et très poignante scène du sacrifice.

À ce niveau, la faiblesse des effets spéciaux devient purement anecdotique, et arrache difficilement les sourires qui viendront beaucoup plus naturellement dans les suites dont je parlais plus haut. Et encore, je parle de faiblesse, mais certaines scènes sont plutôt réussies, les maquettes très soignées, le man-in-suit assez souvent crédible (filmés en accéléré, projetés à une vitesse normale, les mouvement prennent l'envergure, le poids, nécessaire) et enfin, les décors apocalyptiques sont plus qu'honorables. Quelques décors, comme celui du laboratoire (inspiré de l'age d'or du fantastique à la "Universal"), par contre le montage est parfois un peu faible, quelques discours traînent un peu en longueur, mais rien de réellement mauvais.

Autre point assez étonnant, comme quoi les souvenirs d'un film sont parfois vraiment faussés, c'est la qualité de l'interprétation, les acteurs respirent la terreur mais aussi une certaine résignation, très visible dans les scènes à l'hôpital. Encore un rapport direct à la bombe. Quand aux scènes de panique, elles sont tout simplement parfaites.

Historiquement, le scénario de base semble avoir été inspiré par le film d'Eugène Lourié : "Beast from 20,000 fathoms" (c'est même très net). Le producteur Tomoyuki Tanaka qui venait de voir un gros projet avec l'Indonésie être abandonné, pense à faire un film de monstre en visitant le département des effets spéciaux de Eiji Tsuburaya à la Toho. Le projet est confié à Inoshirô Honda qui ira beaucoup plus loin qu'un simple film de monstre. Le nom "Gojira" est un mélange de Gorilla et Kujira, ce qui veut dire baleine. C'était surtout le surnom d'un manutentionnaire de la Toho, particulièrement costaud. Les Américains dénatureront complètement le film, modifiant le montage, ajoutant des scènes avec Raymond Burr, le coté "action" ne va pas vraiment perdre en efficacité, mais cette version trafiquée n'a plus aucun sens.

En résumé je dirais que "Godzilla" n'est pas seulement le monstre de caoutchouc qui passe son temps à écraser des immeubles (accessoirement, il souffle aussi des nuages radioactifs), mais une étrange leçon d'histoire et d'humanisme. � découvrir ou à redécouvrir.

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