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8 mmde Joel Schumacher (Note : ces articles contiennent d'importantes révélations sur le film, préjudiciables à une bonne découverte en salle !) Raphaël Goubet, 12 mars 1999 : OM WELLES (Nicholas Cage) est détective privé, du genre un Américain bien tranquille, pour qui les affaires marchent du tonnerre, tellement qu'il vole dans les Hautes Sphères des Puissants. Du coup (vous voyez déjà ici à quel rythme tout s'enchaîne dans ce palpitant trileur), la veuve du milliardaire Christian fait appel à lui pour traiter avec discrétion d'une délicate quoique sordide (enjeu dialectique) affaire : dans le coffre de son défunt mari, elle a découvert une pellicule 8mm sur laquelle on voit une jeune fille se faire découper vive. Mme Christian charge donc Welles de savoir si ce film est authentique, et si son mari n'est pas, en fin de compte, un sale dépravé. Re-du coup (ça n'arrête pas), Welles se retrouve plongé dans les milieux limites légaux du porno SM. Par où commencer ? Tant de choses sont à dire de ce désagréable monceau d'images à la morale hautement perturbée (mais pas pour les raisons qu'on pourrait croire, non, non). Tout d'abord, il faut le dire, ça rappelle "Se7en". Rien d'étonnant, puisque, comme vous le savez certainement, c'est le même scénariste. Mais dans le genre glauque, c'est pire, "Se7en" (si, je tiens à respecter le petit calligramme) ressemble à un épisode un peu sombre de oui-oui. C'est choc, ça met assez mal à l'aise. �a stimule autant le côté sordide du spectateur (sans montrer grand chose) que ça le dégoûte. Mais c'est efficace, ça atteint effectivement le but qui semble avoir été fixé. Problème numéro 1. Le but. C'est quoi ? À quoi sert "8mm" ? À divertir ? Pas très divertissant, trop glauque, trop dérangeant, trop choquant pour apporter du plaisir. À faire peur ? Comme si ça servait à quelque chose. À faire réfléchir ? Un petit débat sur la perversité des milieux douteux du porno-sous-le-manteau, sur les images atroces qui font jouir certains, ça vous dit ? À moi non plus, j'avoue ne pas connaître beaucoup d'adeptes du genre... Alors un petit débat sur la violence de l'image, le voyeurisme, etc... �a ne peut pas prendre, c'est trop embourbé dans le glauque pour s'élever un tant soit peu. On sort de ce film avec l'étrange impression qu'on vous a tordu l'estomac et remué les tripes pour rien. Une dérangeante vacuité. |
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Mais ça, ce n'est encore rien. Le pire, c'est la scandaleuse morale de ce nauséabond étron cinématographique. Une fois de plus, après "Falling Down" ("Chute libre", 1993) et "A Time to Kill" ("Le droit de tuer ?", 1996), Schumacher remet le couvert de l'apologie de la justice personnelle, la vendetta privée, du droit de chacun de tuer toute personne jugée (sans jugement) dangereuse. Cela n'empêchait pas "Falling Down" d'être un excellent film : cette pulsion de vengeance était celle de la folie, à laquelle se voit poussé un homme écrasé sous la pression sociale que tous nous subissons, à des degrés divers. "A Time to Kill", qui conte le procès d'un homme noir jugé pour avoir tué deux blancs qui avaient violé sa petite fille, d'après un roman de John Grisham, pouvait se réfugier sous le prétexte d'une éducation (utile) à la tolérance, d'une dénonciation (efficace) de l'extrême-droite (encore que, et c'est là toute l'ambiguïté de ce film, il le fasse en préconisant des méthodes guère plus louables). Mais "8 mm" n'a aucune excuse, par sa brutalité même, son extrémisme dans la violence, son manque total de nuance. Il n'y a rien d'autre que cette affirmation scandaleuse qu'il appartient à chacun de se faire justice, une idée précisément portée très haut par les organisations d'extrême-droite américaine. Alors, Schumacher, fasciste hypocrite ? Le réalisateur ne se donne même pas la possibilité de se porter en faux par rapport au sujet du film, de dire que s'il le montre, c'est pour le dénoncer, comme Oliver Stone dénonçait la violence de l'image (autant que l'inverse) dans "Natural Born Killers" en la montrant à l'extrême. Mais là où Stone ne laissait aucun doute sur son détachement, Schumacher enfonce le clou dans le mauvais sens. Parce que son héros, c'est un Américain bien tranquille, pas vraiment moyen, mais presque, parce qu'il est normal, qu'il a une famille, mais qu'il n'en va pas moins s'accorder le droit d'exercer une justice expéditive, violente et condamnable impunément (et avec des encouragements et des félicitations, encore) ; parce que cette pulsion est excusée, montrée comme une réaction normale et saine à un corps dangereux. La morale de "8mm", on l'a vue à l'oeuvre en Afghanistan, où, selon la loi talibane, et comme on a pu le voir à la télévision, une famille dont un membre avait été assassiné met à mort le meurtrier dans un insoutenable supplice sur la place publique. Je suis contre la censure, contre le principe d'interdire des films, mais celui-ci mérite d'être décrié. Qu'il soit projeté est un droit que j'affirme, mais ce film ne vaut que pour autant qu'il soit condamné. Schumacher n'est qu'un tâcheron (pour reprendre le terme lu dans un magazine belge) maladroit. On peut regretter de voir Nicholas Cage dans un tel film. Mais il s'en remettra, heureusement. Schumacher aussi. Malheureusement. |
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Frédéric Guilbard, 10 août 1999 : MM
depuis sa sortie en salle et en vidéo a suscité maintes et maintes
discussions, tant sur son contenu que sur les idées qu'il véhiculait.
Jugé comme un film dépravé et sans finalité pour certains, il fut monté
sur un piédestal par d'autres (on peut à ce titre se référer aux
nombreux articles parus sur frcd qui montrent que les critiques avancées
étaient on ne peut moins engagées). Nicolas Cage joue ici le rôle d'un détective privé qui évolue dans les hautes sphères du pouvoir. Appelé pour des affaires plus proches de l'adultère que de la sécurité nationale, il semble se distinguer des autres par son professionnalisme et sa discrétion. voici donc qu'un jour, une riche veuve le contacte pour élucider une affaire visant son défunt mari, lequel possédait dans un coffre fermé à double tour une cassette de snuff movie (genre de film - dont l'existence est contestée, nous y reviendrons plus tard- dans lequel le(s) acteur(s) se font réellement tués devant les caméra durant le tournage) à caractère sexuel. S'en suit alors une véritable enquête destinée à retrouver la fille supposée assassinée, ce afin de certifier la véracité du contenu de la cassette. dès lors Nicolas Cage se retrouve confronté au monde parallèle de la pornographie : grâce à son contact (Joaquin Phoenix), il entrera dans les sphères les plus hard et les plus secrètes du cinéma XXX (pédophilie, zoophilie, sado-maso extrême...). Après avoir retracé la source de ladite cassette, Nicolas Cage se retrouve confronté à un dilemme moral : jusqu'à quel point la conscience humaine peut elle tolérer de tels actes, jusqu'à quel point peut on ne pas réagir. Durant tout le film, Schumacher tisse un cadre familial autour de son acteur principal (couple aimant dont la femme se lasse de ne pas savoir ce que fait son mari, père d'une petite fille...). Et c'est là que réside toute la crédibilité de la fin du film. Si l'on fait abstraction de cette toile, le film s'apparenterait à l'histoire d'un justicier façon Charles Bronson mais ici le détective n'est pas visé directement si l'on considère la nature des protagonistes (le réalisateur et l'avocat sont éliminés et Machine ne semble que peu s'en soucier, étant probablement un psychotique introverti, reste le dernier protagoniste qui pense plus à fuir qu'à se faire vengeance). Il n'en reste alors que sa réaction est simplement celle d'un homme écoeuré et apeuré par ce qu'il a découvert (Joaquim Phoenix fait à ce titre une très éloquente tirade dans laquelle il dit qu'être confronté à ce milieu ne laisse jamais l'esprit bien sain). |
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Les détracteurs voient dans cette fin une simple fin à la bonne moralité hollywoodienne. Le bon détective élimine les pollueurs d'âmes et il reçoit en échange une lettre de remerciement de la mère de la victime (de la cassette qui malgré tout lui dit que ça ne rendra pas sa fille). Soit il s'agit là d'une fin un peu à l'eau de rose où tout est bien qui finit bien... mais est ce vraiment le cas ? En effet, Cage ne semble pas si apaisé par la situation. Il semble malgré tout qu'il tente d'obstruer une partie de sa mémoire dans laquelle il ne veut en aucun cas y piocher de souvenirs. Chacun est libre d'analyser sa façon de percevoir la fin du film mais il faut pour cela tenir compte de l'ensemble de ce dernier. Comment réagirait chacun de nous dans une telle situation ? Vaut-il mieux avoir la mort de personnes sur la conscience ou constamment imaginer ce que ces individus feront à l'avenir ? L'autre débat qui suivit la sortie de ce film est la nature même du sujet : les snuff-movies. Plusieurs clament haut et fort que c'est une légende urbaine, que le FBI a fait maintes et maintes recherches et n'a jamais rien trouvé. Soit, mais cela veut il dire pour autant que cela n'existe pas ? La nécrophilie (au passage légale dans l'état de New York - sic -), la pédophilie ou la zoophilie ont pourtant fait parler d'elles alors qu'elles furent un temps niées. Il est un peu utopique de donner un bon fond à chaque être humain. On ne connaît que la pointe de l'iceberg. Réfléchissez un instant : croyez vous sincèrement que le FBI révélerait publiquement que ce genre d'activité existe ? Imaginez les retombées d'une telle déclaration... Il n'en reste pas moins que ce film jette un doute sur l'existence de tels circuits parallèles et ce film aura au moins eu le mérite d'évoquer un sujet tabou, comme l'a fait Cronenberg avec "Crash". On pourra retrouver sur le net plusieurs articles cinématographiques faisant références aux snuff-movies et donnant plusieurs titres (voir le dossier dans Lumière). Il reste de tout ça un film très bien mené et dérangeant. La trame
sonore de qualité accentue l'effet d'inconfort que l'on éprouve en
visionnant ce film, et ce quelques qu'en soient ses propres convictions
à l'égard de la véracité de cette activité morbide. |
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