Conclusion

AU TERME de cette étude, j'espère avoir montré que les théories philosophiques exposées, o� s'opposent d'une part les esthétiques empiristes de Genette et Schaeffer, d'autre part l'esthétique � intersubjective � de Rochlitz, sont bien moins contradictoires qu'elles le prétendent. Toutes méritent quelques amendements, mais il se dégage de leur ensemble de nombreux points intéressants.

Avec l'examen des théories de Genette, on a vu l'importance de la subjectivité comme composante fondamentale de l'appréciation esthétique. C'est sur le sujet que se fonde celle-ci, sur sa propre disposition à recevoir l'oeuvre de telle manière. Avec Schaeffer, on a vu se dégager la composante communicationnelle qu'est le jugement proprement dit, portant sur l'appréciation, mais ici injustement cantonné à la sphère d'une subjectivité irréductible. Grâce aux propos de Rochlitz, on a vu comment le jugement, loin d'être solipsiste, ne se définit que par une ouverture nécessaire à l'autre, dépasse, enfin, le sentiment personnel du sujet auquel Genette l'avait réduit. Il montre qu'un jugement esthétique pleinement formulé doit se justifier par des arguments portant sur des paramètres évaluables. Le débat critique juge la valeur intersubjective de ces arguments, répondant ainsi à la prétention à la validité de l'oeuvre. Il ne s'agit là nullement de jugements de faits objectifs, mais d'arguments qui tirent leur valeur de leur approbation au sein du débat.


Le jugement esthétique est
donc de nature
fondamentalement
communicationnelle. Il met en
jeu le sujet dans son
irréductibilité, mais aussi
dans sa nature sociale et
culturelle, tout en le pla�ant
au coeur d'une nécessité de
communication qui seule peut
garantir la plénitude de
l'expérience esthétique. Seul,
on éprouve, mais on ne juge
pas

D'une part donc, il est vain de vouloir fonder une appréciation sur des critères objectifs, d'autre part le jugement n'en prétend pas moins à une validité qui suppose une argumentation -- on retrouve là la prétention à l'universalité de Kant. Comme l'écrit Michael Parsons, dans une étude consacrée au développement du jugement esthétique sur la peinture : "nous tenons notre expérience (...) pour représentative de celle des autres qui pourraient voir le tableau. Nous jugeons à la lumière de notre moi [self], en leur nom. Nous impliquons non que d'autres seront d'accord, mais qu'ils devraient l'être. Ils devraient être d'accord parce que nos jugements sont basés sur des raisons. Une raison dérive de quelque partie de notre réaction qui est basée sur certains aspects du tableau ; elle a une validité interpersonnelle et s'applique potentiellement à tous." (Parsons, 1987 : 123) Le jugement esthétique est donc de nature fondamentalement communicationnelle. Il met en jeu le sujet dans son irréductibilité, mais aussi dans sa nature sociale et culturelle, tout en le pla�ant au coeur d'une nécessité de communication qui seule peut garantir la plénitude de l'expérience esthétique. Seul, on éprouve, mais on ne juge pas. Ainsi que Philonenko l'écrit dans son introduction à la CFJ, "comme l'a bien vu E. Cassirer, l'acte esthétique est celui en lequel se révèle par excellence l'intersubjectivité. Dans l'acte de juger esthétique, j'attribue à mon sentiment particulier et personnel une valeur universelle. En d'autres termes, le jugement esthétique est fondamentalement 'pour autrui'." (Philonenko in Kant, 1993 : 12)

La communication (ou au moins sa possibilité, c'est-à-dire la prétention à la validité intersubjective du jugement) est ce qui donne tout son sens à l'expérience esthétique ; grâce à elle, celle-ci devient une expérience non seulement d'un objet, non seulement aussi de soi-même, mais encore de l'autre, à travers soi-même. Elle ferme l'expérience esthétique, et l'ouvre en même temps : elle la ferme en l'� achevant �, en lui donnant toute sa dimension, toute son ampleur, celle d'une expérience intersubjective. Elle l'ouvre par un pont vers l'autre, vers l'expérience de l'autre, la capacité à vivre cette autre expérience en même temps que la sienne propre, permettant ainsi une meilleure compréhension de celle-ci.

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