La vie rêvée des anges

La vie rêvée des anges

de Erick Zonca
1998 - 1h53 - France ("La vie rêvée des anges")
avec : Elodie Bouchez (Isa), Natacha Régnier (Marie), Grégoire Colin (Chris), Jo Prestia (Fredo), Patrick Mercado (Charly)
scénario : Erick Zonca, Roger Bohbot
photo : Agnès Godard

(Note : ces articles contiennent des révélations sur le film, préjudiciables à une bonne découverte en salle !)

Pierre Guillemot, 15 septembre 1998 :

J'AI EU DROIT aux explications de l'auteur en direct (Zonca est très bon sur scène, il donne envie de travailler avec lui).

C'est l'histoire de deux filles...

Ce qu'il raconte, c'est l'histoire de deux filles qui se rencontrent et qui vivent quelque chose ensemble. Il a choisi de la mettre sur fond de vie des jeunes précaire. Pas de sordide pour photographe social, elles ont un appartement, elles mangent, elles sont en bonne santé. Regardez-les de près, je prétends qu'elles ne sont pas nées dans le milieu populaire. Isa a l'assurance intérieure du milieu bourgeois, elle s'est fâchée avec sa famille. Marie est de la toute petite bourgeoisie, fragile, il est arrivé malheur à sa famille et elle veut reconquérir (en revanche, Charly est prolo, il prend la vie au sérieux, il gagne de l'argent, il en donne même).

C'est un peu comme dire que "Sans toit ni loi" est un drame de la misère, alors que c'est une histoire de solitude qui tue. Exercice : récrire "la vie rêvée" pour un décor de banlieue résidentielle, lotissement chic avec grands jardins, parents toujours partis et grandes filles paumées. Ca marcherait aussi.

Donc ça commence dans le social. Isa la brune (Élodie Bouchez) qui arrive à Lille avec son sac à dos, pour trouver un petit boulot d'hiver maintenant que le petit boulot d'été est fini dans le sud. Recrutée par un marchand d'esclaves, elle se retrouve dans un atelier devant une machine à coudre. Rencontre Marie la rouquine (Natacha Régnier), qui se fâche une fois de plus avec le patron, et emmène Isa dans l'appartement qu'elle garde en attendant que Sandrine, 14 ans, et sa mère sortent de l'hôpital où un méchant accident les a expédiées.

(...) Isa va la voir tous les jours (...)

Virées du boulot mais en possession d'une tanière, les deux filles glandent ensemble. Draguent le gros tendre Charly (Patrick Mercado ; on le reverra) videur de son métier, et son copain sombre Fredo (Jo Prestia). Arrive Chriss, fils de famille et patron de boîte, celle pour qui bossent Charlie et Fredo. (Grégoire Colin, le fils d'Anémone dans "Pas très catholique", enfant gâté à l'écran et dans la vie). Marie tombe raide amoureuse de Chriss, son joli corps de minet et tout ce qu'il représente. Isa trouve le journal intime de Sandrine dans l'appartement. Sandrine est dans le coma à l'hôpital, Isa va la voir tous les jours, lui lit son journal intime. Sandrine va mieux, elle va se réveiller. Mais ça va mal entre les deux filles, leurs rêves s'éloignent trop. Marie reste, Isa s'en va. Ce n'est pas tout à fait fini.

Erick Zonca nous dit qu'il a changé la fin. Dans la première construction, l'histoire était finie, les deux filles n'avaient pas changé. Dans celle qu'il a choisie, elles passent une étape. Allez voir le film pour savoir.



[...] les deux filles, tellement
différentes, qui ont essayé
de vivre les mêmes rêves.

Aussi bien, ce serait une autre histoire, on suivrait aussi bien. Ce qui m'accroche, ce sont les deux filles, tellement différentes, qui ont essayé de vivre les mêmes rêves. Isa vit la vie, elle est déjà blindée, abritée par ses gros pulls qu'elle ne quitte pas. Elle n'attend pas d'être aimée, elle aide les autres au passage, quand ça marche elle est contente, quand ça rate elle passe à autre chose. Marie veut tout, et aussi l'amour des autres, Charly, Chriss, même la copine de Chriss, elle s'avance dénudée, elle prend des coups. Leurs deux personnages se sont tellement imposés que la scène où Isa se met à nu elle aussi, pour faire l'amour à Charly, est tombée au montage.

Il y a aussi la ville de Lille, où tout appartient aux parents de Chriss le fils de riches, l'appartement (c'est un vrai, pas un décor, j'ai vécu à Lille et je l'ai reconnu), les pièces étroites, sans recul pour la caméra d'Agnès Godard ils sont toujours très près les uns des autres, parce qu'il n'y a pas de place, et le spectateur au milieu d'eux.

Zonca nous a peut-être fait ce soir-là le cinéma du réalisateur conscient de tout, comme il l'a fait le lendemain à Nulle Part Ailleurs, il est convaincant pourtant. Manip : pendant le tournage à Lille, Élodie Bouchez et Natacha Régnier logeaient ensemble dans un appartement. Tournage dans l'ordre chronologique. Et le jour de la scène où les deux filles se bagarrent, il les avait prévenues séparément : "attention, elle t'en veut, elle va te donner des vraies baffes". Et il est content, elles ont fait vivre leur personnage. Isa qui danse toute seule quand elle apprend que son truc avec Sandrine a marché. Marie qui croit qu'elle a gagné quand Chriss la pousse doucement vers le lit. Guettez ces moments-là, ça vaut la peine.

Allez les voir pendant deux heures, rêver leur vie.


Laurent David, 7 décembre 1998 :

DANS LA CAT�GORIE Film Mou, "La vie rêvée" arriverait bien classée. Dans un film mou, rien n'arrive, il passe, sans péripétie. Habitué des films où on raconte une histoire, où l'enjeu est rapidement identifié et qu'on sait devoir finir d'une manière où d'une autre... Le film mou me déroute toujours un peu.

Au départ, je pense à de la pellicule gâchée. Puis j'y pense et le verdict sort : flasque et court (en intérêt), je jette, mou mais consistant, je prends. Celui là, c'est du dur dans du mou.

Pourtant, pas de péripétie notable, à peine un suicide et un viol semi-consenti. L'histoire : Isa rencontre Marie, jeunes vingtenaires un peu paumées qui survivent de petits boulots d'esclaves. Elles partagent un bon mois et demi sans souci l'appartement d'une morte et de sa fille comateuse.

Marie, taciturne et instable...

Isa, créative et humaine, commence à s'occuper de la comateuse en lisant son journal intime, dans l'espoir de la faire sortir de son état. Marie, taciturne et instable, court au mari virtuel, cherche à se faire violer par un petit con sans âme, dans l'espoir de se sortir de sa condition de galérienne. Toutes deux cherchent du boulot, elles partagent le logement et l'espoir de jours meilleurs.

Euh, que dire de plus ? Pour l'aspect riant et optimiste, ça se situe dans le Chnord, à Lille, avec - oh joie - un ouiquende à Berck Plage, avec vue fabuleuse sur la mer. On attendrait une manière de s'en sortir, que la petite malade se réveille, comme chez Disney, ou que le Prince Charmant échange son 4x4 contre un peu d'âme, mais même pas.

Un bon film, spychologique, où l'enjeu est de montrer comment on peut vivre la galère, mal ou bien, mais qu'on peut vivre malgré tout.

P.S. : je corrige mon souvenir d'Élodie Bouchez : du boudin en maillot de bain jaune canari des "Roseaux sauvages", elle devient - avec talent - la garçonne traînasse mais pétillante à la cicatrice au sourcil. Pas mal du tout. Toutes les deux n'ont pas volé leur prix d'interprétation.

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