New Rose Hotel - affiche US

New Rose Hotel

de Abel Ferrara
1998 - 1h35 - U.S.A. ("New Rose Hotel")
avec : Christopher Walken (Fox), Willem Dafoe (X), Asia Argento (Sandii)
scénario : Abel Ferrara et Christ Zois, d'après une nouvelle de William Gibson
photo : Ken Kelsch
musique : Scholly D.

Alexandre Barfety, mars 1999 :
(Note : cet article contient d'importantes révélations sur le film, préjudiciables à une bonne découverte en salle !)

La chair, la mort et le diable

Romantique noir

ABEL FERRARA est une figure moderne de ce romantisme. Il se meut d'ailleurs avec aisance dans cette posture d'artiste déchiré, et ne rejetterait sans doute pas une telle filiation. Poursuivre dans la voie de Baudelaire ou de Swinburne, comme le fait Argento de son côté avec Poe ou De Quincey par exemple.

Il utilise comme tous ces romantiques l'inspiration dite classique pour bâtir une oeuvre d'une force indéniable qui compte quelques réussites flamboyantes. Ce film comme presque tous les autres d'ailleurs utilise à escient l'antithèse classique-romantique. Pour expliciter ce discours souvenons nous des mots de Goethe : J'appelle classique ce qui est sain, et romantique ce qui est malade. Ainsi Ferrara reproduit tres consciemment cette conception bipolaire qui régit en grande partie notre pensée, enfer et paradis, ange et démon, et aussi ombre et lumière, bref tous les mythes romantiques.

Pour compliquer l'ensemble il ne faut pas négliger les obsessions de Ferrara, qui parcourent son cinéma, le manque, ainsi que son côté profondément moraliste. Tout cela est utile pour bien juger d'un film dont les figures de proue sont l'ange et la mort.

Être tout sauf banal

Le mythe romantique trouve ici sa pleine mesure. Un film qui est tout sauf ce que l'on veut lui faire dire. "New Rose Hotel" est un maître film, une plongée ironique dans les affres de la démiurgie. Film qui se déconstruit tout en se construisant, qui explore sa structure, se dérobe, se refuse à une compréhension immédiate et rationnelle. Donc un film qui se veut tout sauf classique, grâce à son corps même. OEuvre d'espoir cependant, film quasi expérimental, par sa manière unique d'explorer la manière et la matière de l'image.

Film sur l'image

Sur la place de l'image dans notre société également. Ferrara a assimilé cette mouvance. Longtemps, l'image était source officielle et "pure", témoignage infaillible de vérité, puisque nous le voyons. Il n'en est plus ainsi. Dans notre monde d'images, le virtuel et la manipulation sont la. La pureté n'y existe plus. Elle se saborde elle même dans une confusion volontaire et passionnante.

Mensonge



La représentation est un mensonge.

New Rose Hotel

Ce que nous voyons, la représentation est un mensonge. Ferrara l'affirme d'emblée, cette vérité supposée est une illusion. Pas de vérité, pas de solution, ou bien encore choisir l'ombre plutôt que la lumière.

Les premières images sont symptomatiques du propos de Ferrara. Images déjà essentielles, annonciatrices de la suite des évènements, une image des images, différentes sources qui se mélangent. Le générique, superbe, le regard, déjà métaphore qui tente de distinguer l'action, vient le titre. Dafoe est là, lui aussi dans une position prémonitoire, spectateur de l'action sans en faire vraiment partie. Alors peut venir l'histoire proprement dite. Une machination ténébreuse dans le milieu des affaires, un piège, une beauté tentatrice. Mais tout n'est pas si simple comme dirait un refrain hollywoodien. Tout cela est d'un parfait classicisme, un film noir. Et ensuite tout devient sombre...

Fascinant jeu de pistes, labyrinthe que le spectateur et Dafoe doivent traverser. La métaphore du jeu de l'acteur est évidente, peut être un peu trop d'ailleurs pour ne pas soupçonner qu'elle ne sera pas la seule présente. Dafoe, Walken et Asia Argento sont tout à la fois acteurs et spectateurs. Spectateurs d'une action qui nous est refusée, occultée. Thriller sans action, film d'anticipation ou le futur n'est pas matérialisé, à l'exception d'un téléphone. Le spectateur et Dafoe avec lui, se voient convier à un jeu de rôles.

La place de la narration est l'un des points essentiels du film. L'action n'est jamais présente à l'écran, on ne voit que la préparation des actions par les protagonistes principaux, ou bien leurs commentaires, ou bien encore la mise en scène qu'ils préparent. Seuls les rapports humains, dialogues ou scènes d'amour subsistent, c'est tout ce qui reste de l'action, qui est toujours en dehors, racontée... Et quand elle est finalement aperçue, c'est à travers le filtre d'un autre regard, une autre caméra, un autre support, impur, la vidéo qui crée une distance supplémentaire. D'ailleurs, l'enjeu de l'intrigue, un brillant généticien japonais n'est jamais là, uniquement regardé, observé par des caméras espions. Car tout ici est mise en scène, organisation dans l'espace et dans le temps. La réalité est-elle réductible à ce que l'on voit ? Non.

Ce travail sur la place de l'image, sur le point de vue n'est pas nouveau en soi. On peut le rapprocher de Kurosawa, de Welles, et aussi de Tarantino, sans parler de Brian de Palma. Ici Abel Ferrara va plus loin, puisque il supprime toute idée même de vérité, au spectateur de faire la part des choses dans un film interactif.

Ce trompe-l'oeil, le piège et le mensonge de l'image sont une constante dans l'oeuvre d'un autre metteur en scène romantique, Dario Argento. Moins brillant, Ferrara ajoute cependant la dimension du regard. Qui regarde, qui filme qui ? Qui dirige ?

Walken, metteur en scène

Christopher Walken

Christopher Walken

Il est clairement identifié d'emblée comme le metteur en scène, ce qui est assez intéressant quand on connaît la place de Walken dans le cinéma de Ferrara. Espion ou diable contemporain, son plan consiste en un jeu, un jeu de séduction pour parvenir à ses fins, faire passer le savant d'une société vers une autre. Pour réaliser cette séduction, il lui faut une actrice. C'est Asia Argento. D'où une scène magnifique, sur le jeu et la comédie des sentiments entre eux, Fox (Walken) endosse le rôle du savant, et en quelques instants Sandii (Asia Argento) doit entrer dans la peau du personnage. Il est le metteur en scène, elle est son actrice. Actrice parfaite, on le verra plus tard. Cette scène se rejoue ensuite plus tard avec Dafoe cette fois.

Illusion, le personnage de Walken, au début est présenté comme le pôle d'attraction du film, l'action semble devoir se tourner autour de lui. Mais pas du tout, il s'écarte du centre de l'histoire, la caméra hésite, le délaisse progressivement. Il n'atteindra pas comme Dafoe la possibilité de se détacher de l'action, il en reste prisonnier. Loin d'être le démiurge omniscient, il se retrouve perdu et dépassé. Manipulé lui aussi, il retourne à son rang de personnage pantin, acteur fantôme, dont le destin se dessine sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit. Ne restera que la mort, mécanique et facile.

Le personnage de Dafoe est lui différent. D'abord car sa place de personnage-narrateur le place dans une situation particulière. Il est le premier présent à l'image du début, jusqu'à la fin. Immédiatement extérieur à l'action, il n'est pas libre, c'est une évidence. Le film pourrait très bien être son rêve ou plutôt son cauchemar. Il est toujours là, c'est en lui que se trouve le film, les confusions, les images. Tout repose donc sur lui. Mais il commet un acte qui cause son cauchemar.

Aimer

Il bouleverse ainsi le cours des évènements, changeant son destin de personnage. À nouveau, dans un jeu, il envisage avec Sandii les projets d'avenir. C'est sans doute la scène la plus importante du film. Dans un hôtel entre Asia Argento et Willem Dafoe. Scène splendide, et qui il faut le préciser n'a rien à voir avec le script, et qui fut improvisée comme beaucoup des dialogues du film. Scène splendide, la encore d'une étonnante complexité, mais en même temps d'une fascinante simplicité. Pivot entre les deux parties du film, merveilleusement filmée et tout aussi bien interprétée. Sandii propose à X de tout arrêter, de tout quitter pour l'épouser. Il refuse ce choix, ou en tout cas le diffère.

Il est perdu, jouet dépassé et soudain inutile. Ses tentatives d'indépendance sont nécessairement vouées à l'échec... Se réfugier dans l'hôtel-cerceuil du New Rose Hotel et attendre la délivrance, la mort.


[Ferrara] met à mal
toute idée sur l'objectivité
de l'image.

La dernière partie du film est encore plus passionnante que la première. L'action ou la simili-action est définitivement expédiée. Il ne reste plus que la révision de ces actions. C'est ici que tout le talent de l'organisation de la mise en scène de Ferrara se justifie. Dérouter le spectateur, faire de lui comme de X un jouet, malléable à merci. La mise à mort de la vérité s'organise. Il met à mal toute idée sur l'objectivité de l'image. Une image qui du moment qu'elle est montée est nécessairement vraie. Et bien non. Les scènes sont revues, mais sans être tout à fait les mêmes, voire ensuite franchement différentes. La possibilité d'isoler le vrai du faux devient impossible. Chaque scène acquiert sa propre autonomie et son nouveau sens. Le film tourne sur lui-même, et se sert de lui, de ses images pour construire sa seconde partie. Et au milieu de tout ça se glissent des images inédites, des images d'un ange... D'un bonheur illusoire.

Révélation

le révélateur, terme de photo. Pourquoi donc révélation ? Si révélation il y a, il ne faut pas la chercher dans une solution. Non, révélation pour Asia Argento. Si un personnage imprime réellement la pellicule dans le film, c'est bien le sien. Son apparition à la lumière, à la surface du film se fait progressivement, mais devient rapidement de plus en plus évidente. C'est encore un passage de l'ombre vers la lumière, vers le spectateur jusqu'à ce que l'image elle même en soit emplie, que le film déborde, bouscule plus ou moins volontairement ses propres règles. Elle apparaît étonnamment forte et surtout libre, présente sans jamais être accessible complètement. Et son absence crée le manque fatal de Dafoe.

Séduction

Il y a ici une évidente séduction. Beauté d'une rencontre attendue entre une actrice et un metteur en scène. Séduction réciproque qui transparaît à l'écran. Le jeu de séduction est toujours présent. Le personnage de Sandii qui pourrait être insignifiant est essentiel, vital pour le film qui finit par ne plus voir qu'elle tout comme Dafoe. Beauté nécessaire, fascinante aussi. Asia Argento fait de Sandii le personnage le plus complexe. Est elle sincère ou manipulatrice ? Joue elle la comédie depuis le début ? Ange ou diable ? Ange qui offre l'amour et qui déchaîne la mort sur qui ne peut le saisir... À l'image de l'ange, tatouage qu'elle porte sur le bas de son ventre. Le dernier rôle d'Asia Argento, dans Le Fantôme de L'Opéra, nous montrait un passage, une jeune fille qui devient femme. Ici, c'est une femme, belle et forte. Dans les deux cas, la relation avec le metteur en scène est profonde et évidente.

Les scènes qui l'oposent à Dafoe sont revues plus longuement, nous révélant plus sans pour autant en conclure grand chose. Ferrara affirme son importance, la met en valeur. Filmée délicatement presque amoureusement. Et Asia Argento participe pleinement avec un aplomb renversant et nous convainc encore plus grâce à sa voix. Une voix qui trahit des émotions, des sentiments, une liberté rare chez une actrice. Son corps même, tout aussi beau et vivant occupe une place importante, instrument envoûtant au service de l'illusion filmée.

Abel Ferrara

Abel Ferrara

C'est grâce à cela je crois que Ferrara emporte l'adhésion, c'est une histoire d'amour romantique qui fait le prix de ce film. Plus encore que sa réflexion sur l'image, la vérité, c'est le film qui s'abandonne à l'amour.

Mêler donc dans un même élan créatif le trivial et le sublime semble être le lot commun d'Abel Ferrara. Son esthétique est souvent à la limite du kitsch, il reprend des procédés du clip, mais dans un fond déchirant d'humanité.

Il accorde dans un film des histoires tres classiques, qui ont une évidente dimension littéraire, toujours le terme classique, des tragédies grecques, des rédemptions, Shakespeare et Homère.

Alors, jeu ou bien rêve, le film est là. Peut-être n'est-il que le rêve de Dafoe, personnage de Ferrara qui prendrait peu à peu conscience que quelque chose ne va pas. Pas assez néanmoins pour se rendre compte qu'il est dans un film. Le monde de Ferrara est toujours impitoyable, on n'échappe pas à sa réalité rêvée, son monde de cinéaste. Une illusion d'une heure et demie.

Une mise en scène formellement audacieuse, une image bousculée, découpée, travaillée. Ferrara a tourné avec plusieurs caméras en même temps et trouvé le rythme définitif au montage.

Ferrara montre bien que l'antithèse classique-romantique ne veut rien dire, et que ces deux thèmes sont indéfectiblement liés, nécessaires à la création.

Il célèbre cette fusion nécessaire du classicisme dit pur, et du romantisme dit sombre. Faire cohabiter l'ange et la putain, tel est sa vision de l'artiste.

"New Rose Hotel" est un objet cinématographique rare, qui laisse le spectateur certainement un peu frustré, en tout cas en état de choisir lui-même. Film interactif, oui car il ne faut pas non plus oublier que le film est tiré d'une nouvelle de l'inventeur du cyberpunk, William Gibson.

Libre donc d'en conclure ce que l'on veut, de voir le personnage de Sandii comme le démon ou comme un ange exterminé. De choisir l'ombre et de conclure sur le personnage déchiré de Dafoe qui attend comme l'écrit Baudelaire de : Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?. Ou bien ne retenir que l'image de Asia Argento, qui court vers la caméra, et tout est bien, et tout est bien.

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