Marion

Marion

de Manuel Poirier
1997 - 1h46 - FRA ("Marion")
avec : Coralie Tetard (Marion), Pierre Berriau (le père), Elisabeth Commelin (la mère), Jean-Luc Bideau (le Parisien), Marie-France Pisier (la Parisienne), Laure Fernandez (Stéphanie)
scénario : Manuel Poirier, avec la collaboration de Céline Poirier et Jean-François Goyet
photo : Nara Keo Kosal
musique : Anne-Marie Fijal


Jib, 7 mars 1997 :

MON DIEU quelle merveille : "Marion", de Manuel Poirier, sur les écrans depuis peu !




...un film qui réconcilie
exigence morale et lutte de
classe, un vrai plaisir de
cinéma aussi.

Un chef d'oeuvre de finesse et d'intelligence, un film qui réconcilie exigence morale et lutte de classe, un vrai plaisir de cinéma aussi. Ah, quel bonheur ! L'avez-vous déjà vu ? Sinon, vraiment, vous ne risquez pas grand chose en y allant, sauf un vrai choc cinématographique.

Ne vous laissez pas avoir par tous les clichés qui entourent la perception du cinéma français : ce film parle de la vie de tous les jours, certes, mais il n'en reste pas à la petite histoire, à l'anecdote insignifiante ; il raconte une histoire terriblement vaste, terriblement importante : celle du choix de sa vie, dans toutes ses dimensions, affective, politique ou éthique... Et tout ça à travers une histoire toute simple ! Quel tour de force !

Ne faites pas attention non plus à tout ce folklore dont nous bassinnent les médias, Manuel Poirier et ses animaux, Manuel Poirier et sa casquette, etc. "Marion" est un film d'une rigueur et d'une vigueur rares.

Et si ce film semble partir doucement, ne vous y fiez pas : il n'en est rien. Très vite, et très souvent dans le film, vous vous trouverez pris en défaut. Pour le spectateur, c'est une expérience étonnante : insidieusement, "Marion" vous force à vous positionner, à prendre partie, malgré vous, et sans que vous vous en rendiez compte. Puis le film, par son cheminement, fait immanquablement le procès de ces positionnements, de ces acceptations, de ces compromis odieux que nous faisons sans nous en rendre compte. "Marion" est une expérience, véritablement, c'est un traité de morale, de lutte des classes, mais un traité en action, car tout est en finesse, en légèreté, sans jamais nous assommer. Avouez qu'avec de tels sujets, c'est un tour de force !


Françoise, 9 mars 1997 :

MARION fait partie des films que j'aime en sortant de la salle, et que je me mets à ne plus aimer quand j'y réfléchis.




...ce film manque totalement
de finesse. Il tient un discours
très moralisateur...

Je trouve au contraire que ce film manque totalement de finesse. Il tient un discours très moralisateur (voir la réplique de la mère, à la fin , "nous, on a des opinions", ridicule !), dont on pourrait volontiers se passer parce que les images disent la même chose mais beaucoup plus subtilement.

Il y a dans le film un parti pris que la campagne, la famille et la pauvreté, c'est mieux que la ville, l'argent et la stérilité. On voit bien que Poirier fait un vrai effort pour ne pas tomber dans le panneau du parti pris ; mais il n'y arrive pas toujours ; on sait de quel côté il est, et c'est gênant pour le film.

Je trouve que Chabrol avec "La cérémonie" ou Pialat avec "Loulou" ont peint avec beaucoup plus de force, parce que sans préjugés, les rapports de classe.


Jib, 11 avril 1997 :

AVEC le recul, je reconnais que le film laisse un goût de "tout cuit" assez gênant. Cependant, il y a là à redire.


Le film donne le sentiment
que les jeux sont faits.





D'abord, si la réplique "Nous, on a des opinions" peut paraître ridicule, elle n'en est pas moins indispensable : la famille de Marion s'y révèle fière. Et cette fierté, peut-être ridicule, est la seule force qui leur reste. Sans elle, il n'y avait plus de barrage à la tentative des parisiens, à l'entreprise "d'achat" de Marion. Ensuite, je ne suis pas sûr que les images soient aussi claires. Cette séquence est la seule vraiment explicite, explicative (à l'exception du topo antiraciste du bar). En tout cas, moi, sans ces mots, sans cette mise au point, je n'aurais pas compris la fin du film. J'étais plutôt comme le père, prêt au compromis - à la compromission ? Cette séquence, aussi démonstrative soit-elle, m'a renvoyé à mes propres valeurs, à la nécessité d'un choix (le "bon lycée", ou la vie affective "épanouie", par exemple). Il me semble que c'est là le noeud du film.

Et si c'est trop démonstratif, c'est là un grave problème. Sur le plan esthétique, je pourrais y trouver à redire en effet. Mais si on refuse aux plus doués le droit d'exprimer leurs préoccupations éthiques, voire de sembler "donner des leçons", ne risque-t-on pas de laisser le champ libre aux blanchisseurs autoproclamés, aux prétendues "mains propres", et autres ordres moraux ? Je ne sais.

Cela dit, je suis assez d'accord avec vous. Le film donne le sentiment que les jeux sont faits. Même si la peinture des parisiens est juste, l'on est rarement à leurs côtés. Avec le recul, j'aurais presque préféré une famille plus "prolo", moins immédiatement sympathique. Maintenant, il ne faut pas exagérer : la campagne n'apparaît pas comme le paradis sur terre (les jeunes s'y ennuient, leur avenir semble incertain, pour aller vite).


...il y a dans ce film une
vraie analyse de la société
en classes sociales.




Je comprends quand vous parlez de Chabrol et Pialat, je vous suis pleinement. Cependant, je trouve que Poirier ne se contente pas de montrer, il donne à ressentir, il souligne les tensions. En somme, c'est un film sur les rapports de classe, mais pas un film de lutte de classe.

Tout est là. Il montre le piège du contact entre deux milieux si différents, il souligne les problèmes sociaux et moraux que cela implique, car les Parisiens ne sont pas des salauds malgré tout. C'est quelque chose de très rare, cette tentative d'équilibre entre étude des rapports de classe et exigence morale, c'est quelque chose de très beau.

Dans "La cérémonie" par exemple, le film de Chabrol, c'est un peu la faute à pas de chance, elle analphabète, qui se la ferme, et eux bien bourgeois. Qu'est-ce qu'on y peut ? On prend de bonnes résolutions : lutter contre l'illétrisme, et puis c'est marre.

Chez Poirier, il y a comme l'idée de deux modèles de vie, d'un choix à faire. Et à la limite, dans cette optique-là, la stérilité de la Parisienne peut être alors un obstacle à une pleine réception du film. C'en est aussi une petite limite.

S'il n'y a pas de lutte de classe, je crois tout de même qu'il y a dans ce film une vraie analyse de la société en classes sociales. Et c'est même encore plus fort, cette analyse n'apparaît qu'en sous-main, elle parcourt le film, elle explique les réactions, mais elle ne se donne pas comme l'objet du film.

Et en effet, le problème, c'est qu'il n'y a pas vraiment grand chose qui cristalise ce conflit. Ca ne se lit qu'à de petits détails, comme l'épisode du briquet, qui est une vraie violence pour la famille de Marion. On imagine le père qui a honte, qui se torture l'esprit pour trouver une excuse sortable, et voilà les Parisiens qui affichent une franche indifférence (et de fait, leur attachement au briquet n'était pas d'ordre pécuniaire, mais affectif). C'est ni plus ni moins une baffe symbolique.

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