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L'Homme qui n'a pas d'étoilede King
Vidor Kronos, le 09 novembre 98 :
Et pourtant, le résultat est... flamboyant. Le film est une idée de Kirk Douglas, gros travailleur, il se retrouve avec un mois de vacances entre deux tournages (un film pour la Fox et un pour la Warner), hors de question de laisser passer cette occasion de tourner un petit film. Il demande donc au scénariste Borden Chase de lui trouver un scénario. Ce dernier s'exécute en se basant sur une première scène écrite par D.D. Beauchamp, inspirée d'un roman de Dee Linford. On cherche alors un réalisateur capable de tourner rapidement, King Vidor est libre, le choix se porte naturellement sur lui. Ce choix est d'importance, car, quelque soit le film et/ou son budget, Vidor est remarquable pour intégrer au récit des scènes fulgurantes, qui marquent l'esprit, il sait transcender par la mise en scène les scénarios les plus classiques, les plus simples. Que dire alors quand le scénario est plus riche qu'il n'y parait. Ici, on retrouve trois thèmes de prédilection du western : le duo (cow-boy expérimenté et jeune paysan en quête de sensations, le Maverick), les barbelés sur la prairie (les fourrages, propriété de l'état, sont censés être utilisable par tous, mais les troupeaux les plus gros avaient tendance à tout raser, les petits propriétaires se voyaient contraints de protéger certaines portions avec des barbelés), et enfin, la fin d'un monde, celui de l'ouest sauvage (thème classique du western crépusculaire). |
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![]() Des réactions
vives ... |
Les conditions de tournage (il faut aller vite) emmènent le film à un rythme dément, les retournements de situation sont légions, les scènes s'enchaînent sans temps mort. Kirk Douglas joue dans ce registre, un personnage "électrique", dont les réactions, vives (le mot est faible), sont d'ailleurs parfois bien plus rapides que ne le demanderait la situation, c'est un instinctif. Il est aussi témoin d'un changement, regardant arriver les nouveaux propriétaires avec curiosité et incrédulité (scène de la salle de bain, grand moment d'humour), mais surtout, derrière les apparences, avec appréhension. Comme s'il souhaitait que ces changements n'aient aucun effet, qu'il puisse glisser sur les événements comme il l'a toujours fait. L'attitude parfois clownesque de Kirk Douglas n'est pas un exercice de cabotinage mais plutôt une armure qu'il se construit contre les modifications profondes d'une société en voie de modernisation rapide, l'ouest sort du moyen âge. N'en est-il pas sorti pas trop vite ? C'est la question que pose le film. Cette dualité, ce changement d'époque, se retrouve à
tous les niveaux du film (voire même dans l'attitude de Vidor, qui,
je le répète, ne cessait de se plaindre : " La mise en scène joue avec les couleurs, vives pour Kirk Douglas, marron et ocre pour le Maverick (paysan, il vient de la terre), sombres pour le méchant de service, comme dans d'autres westerns de Vidor la luminosité est très présente (plateaux très éclairés, ou extérieurs en plein soleil, résultat d'un très beau travail de Russel Metty), les décors de studio donnant une image idéale de l'ouest. Le montage est vif sans trop morceler le film, les scènes d'action très violentes (pour un western de 1955, notez qu'il fut interdit dans pas mal de pays à sa sortie), en particulier le règlement de comptes entre Douglas et Boone. Cette violence, cette agressivité est en partie due aux angles de prises de vue utilisés par Vidor, inhabituel certes, mais toujours assez naturels, c'est à dire sans tape à l'oeil. On peut éventuellement remarquer, dans deux ou trois scènes le manque de moyens (surtout la charge du troupeau, dans un style typique de la série B fauchée), mais même ces petites imperfections n'entament en rien la cohérence de "L'Homme qui n'a pas d'étoile". Voilà donc le résultat, un western remarquable, derrière les apparences flamboyantes se profile un nouveau monde où peu auront leur place. Le talent de King Vidor, des scénaristes et de Kirk Douglas est bien d'avoir réussi à condamner cette modernisation forcenée sans pour autant prôner un retour en arrière. Rythme dément, thèmes classiques traités avec intelligence et beaucoup de profondeur, interprétation remarquable (Richard Boone campe encore un méchant tout à fait crédible), tout pour faire un grand film que les conditions de tournage destinaient pourtant à rester petit. Une petite mais goûteuse cerise sur le gâteau, les cinéphiles les mieux entrainés pourront s'amuser à essayer de repérer Jack Elam (facile) et Lee Van Cleef (beaucoup plus dur), dans deux tout petits rôles. |