Level Five

Level five

de Chris Marker
1996 - 1h46 - France ("Level five")
avec : Catherine Belkhodja, Nagisa Oshima, Kenji Tokitsu


Sébastien, 19 février 1997 :

ÉTONNÉ (et peut-être victime) de la critique élogieuse de "Level Five" par Télérama et Le Monde Diplo, j'y suis allé de mes 18F cette après-midi (pour les non-parisiens, du 19 au 25, l'entrée est à 18F pour les séances entre 17 et 19h). Mal m'en a pris, puisque j'ai quitté la salle après de 45 mn, ce qui n'est pas DU TOUT dans mes habitudes, mais je n'ai pu résister plus longtemps à l'ennui.


...cette méthode du plan
fixe ne m'a guère
convaincu, je trouve ça
un peu trop "pathos"...




Quelqu'un a t'il été subjugué par ce film ? Certes, il semble bien qu'il se dessine une "critique-réflexion" sur l'image, la mémoire et l'oubli, mais je n'y ai pas vu ce que Pierre Murat qualifie de « Film essentiel, [...] Film sur la mémoire et refus de l'oubli. Film inoubliable ... Je n'ai tout bonnement pas accroché, ni sur la forme ni sur le fond.

La réalisation du film est en effet vraiment étrange (originale ?). Une alternance entre des plans fixes sur l'unique actrice (Catherine Belkhodja) qui se confie sur feu l'homme qu'elle aime, des images et données de la bataille d'Okinawa (stockées sous une forme plus ou moins ludique par cet homme dans la mémoire d'un ordinateur), et des excursions au Japon commentée en voix-off par un "inconnu".

Bon, j'avoue que cette méthode du plan fixe ne m'a guère convaincu, je trouve ça un peu trop "pathos", trop volontairement chargé en émotion. Les images exhibées (extirpées ?) par l'ordinateur sont d'une qualité volontairement mauvaise (un vieil amiga ou mac la dessous) : je mets d'ailleurs en garde par avance les fans d'images de synthèse, appâtés par quelques mentions de "cyberspace", "plongées virtuelles", etc.


...film déroutant, dont le
propos [...] m'a plongé dans
un sommeil presque total.




Rien de tout cela ici, et bien qu'une débauche d'effet spéciaux n'ai pas toujours servi le propos du "cyberspace" (cf. "Le Cobaye"), l'excès inverse pourrait gêner aux entournures les informaticiens qui, même concentrés sur le film, pourront tiquer devant la désuétude des effets et les ridicules répliques "branchées informatique". On pourrait même avoir l'impression de regarder un mauvais CD-rom, tant les images semblent constamment avoir été victime d'une mauvaise numérisation (volontaire ?).

Bien, ma critique n'est peut-être pas très constructive, mais c'est un film un peu déroutant, dont le propos (qui se veut sûrement élevé) m'a échappé et plongé dans un sommeil presque total, jusqu'à ce que je me décide à partir. L'inconvénient avec 18h/18F, c'est que cela déplace sûrement ma limite entre ma tolérance et le sentiment de temps perdu.

Des avis contraires ?


Thierry Bezecourt, 25 février 1997 :

SI, comme pour "Le jour et la nuit", une bonne partie des spectateurs est partie avant la fin (mais la comparaison s'arrête là !), j'ai au contraire accroché sur la forme comme sur le fond pour des raisons assez proches de celles qui me font aller revoir de temps en temps "La Jetée".



...fascinant enchevêtrement
de paroles et d'images qui
étudient [...] : la mémoire,
la mort, le souvenir...

Le film est difficile d'accès, c'est certain. Mais je trouve fascinant cet enchevêtrement de paroles et d'images qui étudient sous tous les angles possibles deux ou trois thèmes qui se répondent entre eux : la mémoire, la mort, le souvenir d'un être cher mort, le souvenir de milliers de japonais inconnus morts, le souvenir de la mort qu'on a porté à des êtres chers, et ainsi de suite...

L'inconnu est (si j'ai bien compris, puisqu'il a une voix âgée et s'appelle Chris) le réalisateur, qui nous présente l'histoire de cette femme dont il a retrouvé les images de ses monologues qu'elle a tourné elle-même avant de disparaître.

J'aime particulièrement l'abondance des moyens employés : monologues en plans fixes, voix off, images d'archive, images d'ordinateurs, images d'archives insérées dans des images de CD-rom, séquences numériques (il est vrai moins convaincantes)... Le multimédia convient particulièrement à ce goût de Chris Marker pour l'accumulation des points de vue.


Françoise, 3 mars 1997 :

AVOIR été subjuguée par le film, c'est beaucoup dire, mais passionnée, oui. C'est vrai que le côté "gadget ordinateur" est un peu agaçant et déjà dépassé (ça ne vaut pas Tom Cruise qui fait joujou avec son portable dans "Mission : Impossible").

Mais, au delà de la forme, il y a une réflexion, pas nouvelle, mais toujours nécessaire, sur l'histoire et la capacité d'oubli (exactement le thème de "Hiroshima mon amour"). Godard prétend qu' « il n'y a plus de vrais films sur la guerre » (sous-entendu, mon film "Forever Mozart" est un vrai film sur la guerre (Ah, je ris...)).



...je classerais volontiers
le film de Marker comme
un vrai film sur la guerre.

Eh, bien je classerais volontiers le film de Marker comme un vrai film sur la guerre. Comme Resnais, Marker est capable de ressusciter , avec une réelle économie d'images spectaculaires et de discours, le souvenir de la guerre et d'en traduire outre l'atrocité.

Ce qu'il y a dans la guerre, c'est qu'elle dépasse l'entendement ; à nous qui n'avons pas connu la guerre, il nous faut la mémoire : si on ne nous montre pas les choses, on ne peut pas s'imaginer qu'elles aient existé. Dans le film, on voit un prêtre d'Okinawa expliquer pourquoi il a tué son père, sa mère et ses frères et sœurs. On voit aussi des familles en larmes jeter des bouquets de fleurs sur la mer en souvenir de leurs enfants disparus. On voit un soldat américain amnésique refusant de se souvenir ce qu'il a vu à Okinawa. Et on est dégoûté de la guerre pour un moment, court moment peut-être, mais c'est déjà ça de pris.

Voilà, j'aimerais bien de donner envie de retourner voir ce film, ne serait-ce que pour ça.

PS : C'est vrai que l'histoire de Laura, qui se superpose à l'histoire d'Okinawa, nuit un peu à la clarté du propos. Mais il y a là aussi une réflexion sur le deuil très profonde qui nécessiterait des débats complémentaires...

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