Jackie Brown

Jackie Brown

de Quentin Tarantino
1997 - 2h15 - USA ("Jackie Brown")
avec : Pam Grier, Samuel L. Jackson, Robert Forster, Bridget Fonda, Michael Keaton, Robert De Niro, Michael Bowen, Lisa Gay Hamilton
scénario : Quentin Tarantino, d'apr�s le roman Rum Punch d'Elmore Leonard
photo : Guillermo Navarro
musique (Musique (extraits sur Amazon.com)) : artistes divers

Kronos, le 4 avril 1998 (note : pas de révélations dans cet article, vous pouvez le lire sans avoir vu le film auparavant) :

UN GÉNÉRIQUE un peu seventies, une scène d'ouverture calculée, une musique Black à bon escient : Foxy Brown avance sur un trottoir mécanique, la musique change, le rythme s'accélère, Foxy Brown court, de plus en plus vite, elle est un peu inquiète, et elle devient Jacky Brown, hôtesse de l'air mure et un peu enveloppée (mais toujours diablement sexy), sur la compagnie la plus miteuse d'Amérique du Nord. Le ton est donné, ce film n'est pas un hommage aux films Black 70's, c'est plutôt une histoire tournant autour de personnages ayants connu et aimé cette époque, sa musique, ses films, ses modes, mais aussi un quartier qui connut son heure de gloire 25 ans plus tôt. C'est donc un film sur le temps, un sujet plus sérieux, du coup Tarantino oublie les clins d'oeil (enfin, disons plutôt qu'il leur donne une véritable importance, ils deviennent révélateurs et non plus simplement ludiques) et surtout, il s'attache aux personnages, il ne les lâchera plus.

Le soin qu'il apporte dans la première partie du film à nous les faire découvrir, en profondeur, est assez nouveau chez lui, il préférait les développer par petits bouts, par petites touches, mais restait assez superficiel en les tuant, littéralement, rapidement. Dans Jackie Brown pas de ça, on prend le temps. L'histoire est simple, un trafic d'arme rapporte de l'argent, celui-ci est au Mexique, une hôtesse est utilisée pour le rapatrier. L'hôtesse en a marre d'être utilisée, elle monte une combine. Derrière cette histoire simplisme Tarantino a élaboré un scénario beaucoup plus complexe, les tours et les détours nous permettront d'aller encore plus loin dans l'étude de caractères, plus loin dans la compréhension, les actes ne sont plus gratuits, ils ne sont pas non plus vraiment expliqués, mais plutôt démontrés, évidents.

Les actes, au sens action, sont beaucoup plus rares que dans "Pulp Fiction" par exemple, et ils en prennent plus de poids, plus d'importance. Tarantino de ce fait, soigne énormément les scènes qui les accompagnent, à ce titre, l'assassinat de Beaumont est un magistral plan à la grue que Preminger aurait admiré, mais ce n'est pas une scène surprise, on reste dans le ton, on prend son temps. Dans Jackie Brown, on assassine moins, et surtout que ce soit après une longue réflexion (le temps que met Ordell à convaincre Beaumont de monter dans le coffre), ou après être arrivé à bout de nerf (comment Louis peut-il supporter cette pétasse plus de 5 minutes ?), on prend son temps, même si le meurtre surprend (Louis tuant Mélanie) il est explicable, ou, simplement logique.

Jackie Brown c'est l'art d'étirer le temps, de jouer avec, ce que permet le cinéma, c'est l'art de le maîtriser. La scène de l'échange "pour de vrai" est un grand moment, donner 3 points de vue, c'est faire du cinéma, tout simplement, et quand la technique est aussi bien dominée, on en redemande, encore une fois, en remontrant trois fois la même chose sous des angles et des durées différentes (le principe même de "Reservoir Dogs"), Tarantino joue avec les interprétations, il n'expédie pas, encore une fois il prend son temps, il le sculpte, il le domine.

Jackie Brown c'est aussi prendre le temps de parler, des dialogues très travaillés, judicieux et utiles à la connaissance des personnages. Toujours apparemment aussi incongrues, ces discussions révèlent en fait beaucoup, par exemple on peu apprendre que Jackie n'est pas une vraie nostalgique (elle n'a rien contre changer ses 33 tours vinyles contre des CD, c'est juste qu'elle n'a pas le temps), on apprend aussi que Louis et Mélanie ne sont pas des lumières (la discussion sur la photo au Japon, "le Japon c'est ça", un grand moment), on apprend que Max est un peu désabusé mais sans avoir perdu sa lucidité, les pieds sur terre en fait. On apprend aussi beaucoup sur Ordell, le personnage le plus ambigu du film, mais peut-être l'est-il aussi dans sa tête, associant la peur de se révéler et le besoin de frimer, en révélant tout (combien de fois on entend "mais comment tu sais ça ?" "ben, parce qu'il me l'a dit".

Jackie Brown, ce sont les petits détails, tout aussi important que les dialogues, moins creux que dans "Pulp Fiction", ces petits clins d'oeil donnent l'occasion à Tarantino de régler ses comptes, par ailleurs. Un exemple, Ordell parlant de John Woo, "the Killer" en particulier, ce n'est pas une critique de John Woo, loin de là, mais plutôt des abrutis (je cite) qui le prennent pour argent comptant. En gros, Tarantino explique que les gens qui oublie que "the Killer" est un film, sont les véritables coupables, et sont les premiers lésés. Ce clin d'oeil permet aussi de définir Ordell, on apprend de manière détournée qu'il est trafiquant d'armes, et loin d'être bête, peut-être juste fataliste (n'est-il pas certain qu'il se fait arnaquer à la fin du film, demandant plusieurs fois à Max de tout lui dire ?). Les petits détails c'est aussi Michael Keaton, l'acteur détail, se parodiant à peine, juste histoire de donner corps à un petit flic ambitieux mais sans importance, un jouet pour Jackie (voir la scène géniale de la description du sac). Les petits détails, ce sont encore, ces ponctuations, l'art de marquer une scène par un gros plan rapide sur un geste anodin (un doigt sur un lève vitre électrique, une sonnette). Je passe sur les petits hommages à "Vampiros Lesbos", aux WIP (Women In Prison), à "l'arnaque" de George Roy Hill (les fameux intertitres, très moqueurs), à Brian De Palma (le petit coup de split-screen, judicieux), à Helmut Berger (plus évident).

Jackie Brown, enfin, c'est Jacqueline Brown, une quadragénaire, un peu fatiguée, diablement intelligente, mais surtout prête à tout pour finalement s'en sortir. C'est un personnage presque mythique, qui, grâce au jeu tout en douceur de Pam Grier, grâce à l'admiration permanente de Max (excellent Robert Forster dans le rôle de l'observateur qui donne un petit coup de main), et aussi grâce à Tarantino qui a judicieusement "oublié" de systématiquement mettre en valeur son physique (il se le permet une fois, robe moulante rouge, maquillage presque outrancier, Jackie joue sur les apparences, elle veut paraître devant Ordell pour mieux l'endormir), devient une héroïne au sens noble, la raison d'être du film. Les aventures d'une désabusée qui prend le taureau par les cornes, la victoire de la sagesse sur la fougue et la frime, c'est un peu l'aventure de son réalisateur.

Tarantino a grandi, son cinéma aussi, il sait garder ce qu'il y'a de durable dans ces deux premiers films et améliorer le reste. On aime ou on n'aime pas, mais c'est objectivement remarquable.

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