The Hole

The Hole

de Tsai Ming-liang
1998 - 1h35 - Taïwan / France ("Dong")
avec : Yang Kuei-mei (la femme), Lee Kang-sheng (l'homme), Miao Tien (le client), Tong Hsiang-chu (le plombier), Lin Hui-Chin (le voisin)
scénario : Tsai Ming-liang et Yang Pi-ying
photo : Liao Pen-jung
musique : Grace Chang

Pierre, 07 février 1999 :

LE DERNIER FILM de Tsai Ming-liang est sans doute l'un de ses meilleurs avec "Les Rebelles du Dieu Néon". Pourtant, considéré rapidement, il pourrait sembler être le moins immédiatement séduisant, le plus théorique. À tout ce qui faisait son cinéma auparavant, Tsai Ming-liang rajoute l'unité de lieu. Tout le film, ou presque, se déroule dans deux appartements superposés. Les seules séquences faisant exception prennent place dans une galerie commerciale désaffectée. On ne voit en tout cas jamais le ciel et pas une scène ne se déroule en plein air. Ce parti pris d'enfermement, ajouté à l'aridité des rares dialogues, à l'absence d'action, pourrait inquiéter, d'autant plus que les scènes d'errance étaient souvent les plus réussies de ses précédents films, mais heureusement une fois encore Tsai Ming-liang a réussi son pari de dire l'universel avec le presque rien.



The Hole : lui, Lee Kang-sheng

Kang-Sheng en lutte
contre lui-même...

Deux appartements donc. En-dessous, la femme vit seule dans un local perpétuellement inondé, et ne semble rien faire d'autre que les courses ou du rangement. Au-dessus un jeune homme, épicier (si tant est que ce terme existe à Taïwan). Entre les deux, un trou dans le plafond. Le jeune homme est interprété par Lee Kang-Sheng, l'acteur fétiche de Tsai Ming-liang qui éblouit encore par son jeu de pierrot lunaire. Il semble jouer au ralenti. Mais plus que de lenteur, il faudrait parler d'arythmie. La lenteur est délibérée. On peut décider d'agir lentement. Or, son jeu paraît être le résultat d'une lutte perpétuelle contre lui-même.

Le film va alors s'essayer à montrer comment le trou va rapprocher les deux personnages. Les rapports "hors-trou" sont rares, et lorsqu'ils se produisent, froid et distants. La communication classique semble ne plus exister et une anomalie, une fêlure dans le quotidien s'avère nécessaire pour rétablir un certain lien social. Si la métaphore semble lourdingue quand on l'exprime en mots, et je vous passe les multiples interprétations freudiennes qui ne manqueront pas d'en être faites, elle passe plutôt bien à l'écran et résume parfaitement les obsessions du cinéaste.

Il en est du trou comme des relations entre les personnages. Le trou est creusé par un plombier, qui tente de localiser l'endroit de la fuite responsable de l'inondation de l'appartement de la femme. C'est un petit trou sale, plein de gravats à travers lequel des cafards apparaissent. Petit à petit, le trou va grandir, être apprivoisé (la scène où Lee enlève les gravats et en fait ostensiblement le point central de son salon) pour devenir petit à petit le chemin du rapprochement entre les êtres (cette dernière expression pouvant être prise au sens littéral). En parallèle, les rapports entre les personnages sont d'abord hostiles, puis indifférents avant que l'on n'assiste à une simultanéisation de leurs gestes puis, in fine, à une véritable tentative de séduction.

The Hole : elle, Yang Kuei-mei

les toilettes : un point
de vue comme un autre...





La partie du film la plus faible, c'est tout ce qui se rapporte au virus de Taïwan. Pourquoi à la mort lente de la société que Tsai Ming-liang nous détaille dans tous ses films, s'est-il cru obligé d'adjoindre un péril physique, une maladie (sur-signifiante qui plus est) qui vient souligner inutilement le propos ? Sans doute est-ce lié à la commande d'Arte, qui nécessitait un rôle particulier à la date du 31 décembre 1999. Cependant, on peut rapidement en faire abstraction et profiter du film pour ce qu'il a à nous apporter.

À côté de cela, on retrouve tous les tics du cinéaste, qui peuvent irriter parfois, mais finissent toujours par se retrouver justifiés par le récit : les inondations, la pluie (à laquelle s'ajoute ici la chute des ordures que tous les habitants de l'immeuble jettent par leur fenêtre dans la cour intérieure), les salles de bain, les toilettes, etc. Tout un univers de signe que Tsai Ming-liang réutilise constamment, comme une recette qui a déjà fait ses preuves.

Le plus surprenant pour qui est familier du style de Tsai Ming-liang est sans doute l'irruption soudaine de scènes de comédie musicale qui s'avèrent petit à petit être une plongée dans l'inconscient des personnages, l'expression de leur désirs, de leurs fantasmes. De ses séquences émane une poésie inouïe même si, comme moi, on n'aime guère les comédies musicales. Elles semblent confirmer que l'amour ne peut plus exister que dans l'imaginaire, qu'il n'a plus sa place dans la société moderne. Le film peut alors être vu comme la démonstration que ces aspirations sont profondément ancrées en l'homme et que, dans les situations les plus extrêmes, elles se remettent à dicter les actes des personnages (s'il n'y avait pas eu le trou, les inondations, leur refus de quitter l'immeuble malgré les exhortations des organisations sanitaires, la menace de la maladie, sans doute n'auraient-ils jamais ressenti le besoin de se rencontrer, de se parler même). Le film est donc un formidable hymne à la vie, bien loin de la désespérance sombre de "Vive l'amour".

Le coin du bourreau des drosophiles

La version présentée en salle est assez différente de la version télévisée diffusée par Arte au mois de décembre. Il ne s'agit pas d'une simple version longue, diluée par l'ajout de quelques séquences. Des scènes ont été retournées, avec des angles de prise de vue différents. On tend à être plus près des personnages dans la version cinéma. La succession même des séquences est légèrement modifiée. Et puis, surtout, l'acteur qui incarnait le père de Lee dans les précédents films vient ici jouer le rôle d'un personnage à la recherche d'une marque de boîte de conserve, un détail qui pourrait le rattacher à son passé. Outre ce que cette scène dit sur la société que dépeint Tsai Ming-liang, c'est l'occasion pour le cinéaste de dire adieu à l'ancien personnage de l'acteur Lee Kang-Sheng. Tsai Ming-liang en a fait un adulte. Rien que pour cela, la version ciné est indispensable.

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