L'ennui

L'ennui

de Cédric Kahn
1998 - 2h00 - France ("L'ennui")
avec : Charles Berling (Martin), Sophie Guillemin (Cécilia), Arielle Dombasle (Sophie), Robert Kramer (Myers)
scénario : Laurence Ferreira Barbosa, Cédric Kahn, d'après le roman homonyme d'Alberto Moravia
photo : Pascal Marti
sortie : à Paris le 16 décembre 1998
prix : Louis-Delluc 1998


Laurent Jaouen, 30 décembre 1998 :

C'EST le cinéphile déprimé.
Ca ne va pas mieux.
Je viens de voir le film "l'Ennui" de Cédric Kahn. Le roman de Moravia, pour ceux qui l'ont lu, est-il dans ce film bien retranscrit ?

S'il faut souligner le courage des deux acteurs (paradoxalement, la difficulté devait être moins dans les scènes physiques - qui m'ont semblé être "mécaniques" et dépourvues de sensualité - que dans le jeu des acteurs ; le prof de philo en dépression qui sombre dans une obsession hystérique et vaine, et la jeune fille, corps taillé pour le plaisir, impudique, spontanée), j'ai trouvé que ce film intimiste et dérangeant (deux personnages réunis par le hasard qui essayent de communiquer physiquement et verbalement) finissait par tourner en rond. Comment croire au personnage de Martin, qui ne lâche pas une seconde prise et qui ne songe pas à s'enfuir devant cette incompréhension sincère de Cécilia ? Peut-on croire aussi à la naïveté de Cécilia, aux motivations floues et mouvantes... ?

Je suis intéressé par vos avis, particulièrement pour les lecteurs de Moravia.


Vincent Fournols, 23 janvier 1999 :

J'AI VU "L'ennui" alors que j'étais en cours de relecture du roman de Moravia, et de ce point de vue, l'adaptation est tout à fait réussie.

La transposition de l'activité du héros (le peintre devenu philosophe) est pertinente et justifie encore mieux sa fringale d'intellectualisation et sa logorrhée compulsive. Autre excellente trouvaille : remplacer le personnage-pivot de la mère par celui de l'ex-femme. Le rôle en est atténué mais permet ainsi au héros de faire l'économie de la voix off et de refléter verbalement ce qui fait l'objet de longs soliloques et conjectures dans le roman.

Autre qualité de l'adaptation : le titre semble aussi inadapté que pour le roman dans lequel l'ennui fait l'objet de longs développements qui finalement ne convainquent guère. L'ennui éprouvé par le héros n'est amha en fait que dans sa tête, et est en quelques sortes le résultat d'une démarche volontaire de sa part, ou à tout le moins acceptée, quoiqu'il en dise. La transposition dans le film vers une situation de philosophe en état de dépression rend donc celle-ci plus crédible. Et finalement, le personnage qui connaît le mieux l'ennui à son insu est certainement celui de Cécilia !

D'autres détails sont apportés par le film qui créent utilement un décalage supplémentaire et utile, notamment de voir un prof de philo habiter dans un vaste appartement parisien et rouler en BMW, avant qu'on apprenne vers la fin et presque incidemment que sa famille est très riche. Et je trouve que son personnage y gagne en crédibilité dans sa façon d'ignorer, ou refuser passivement, ce cadre. Dans le roman, le rapport à la richesse est intimement liée aux relations du héros et de sa mère, aspect donc très bien transposé dans le film.

Mais du fait de cette lecture en cours, j'ai eu le plus grand mal à prendre de la distance par rapport au film en tant que tel, et notamment à juger de l'intérêt et de la crédibilité des personnages (principalement Martin et Cécilia), de leurs discours et de leurs comportements. L'interprétation est sans défaut : Berling est remarquable et poursuit ainsi une série de sans-faute, même dans des films moyens ("Ridicule", "Love, etc.", "Nettoyage à sec", "Ceux qui m'aiment prendront le train", "L'inconnu de Strasbourg"). Dombasle surprend agréablement dans son rôle en contrepoint (dans le film comme dans sa carrière), et Sophie Guillemin est une Cécilia parfaite et difficilement imaginable autrement.

Au final, le film transpose remarquablement à mes yeux la matière du roman initial, et fournit donc matière à réflexion et discussion. Ce ne sera pas la tasse de thé de tout le monde, et à l'instar du roman, c'est une oeuvre typiquement européenne, pleine de psychologie, de finesse et de franchise, notamment dans les désormais fameuses scènes de sexe, présentées sans fausse pudeur ni voyeurisme exacerbé. Par opposition caricaturale à un cinéma américain maître dans l'art du divertissement et d'un certain langage cinématographique, "L'ennui" est une illustration typique et aboutie d'une démarche, littéraire ou cinématographique, qui ausculte jusqu'au vertige, au prix de la vacuité ou de la révélation.

Autres liens :

Retour